Réchauffement climatique : créer une "banque" pour les glaciers menacés

communiqué diffusé le 20 mars 2015, par l’AFP

Mettre au frais dans l’Antarctique pour les générations futures des échantillons de glaciers menacés par le réchauffement de la planète, tel est le projet de chercheurs français, qui espèrent réaliser le premier prélèvement de "carottes-patrimoine" début 2016 sous le Mont-Blanc.

"On est dans la même logique que la banque créée au Spitzberg (Arctique), où des graines du monde entier sont stockées pour les siècles à venir dans une ancienne mine de charbon", explique Jérôme Chappellaz, directeur de recherche au Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’environnement de Grenoble (LGGE).

Cette nouvelle "Arche de Noé" trouverait sa place en Antarctique, sur la base franco-italienne Concordia, qui garantit dans la neige un froid à -53°C.

Tente de forage au col du Dôme, à 4250m d’altitude au sommet du massif du Mont Blanc.
© Bruno Jourdain, LGGE/OSUG/UJF

"C’est le meilleur congélateur au monde", poursuit M. Chappellaz. "Les carottes seront en sécurité, même en cas de conflit mondial. Pas besoin d’électricité. Il continuera à y faire froid, et même si le réchauffement sur le plateau Antarctique était de +10°C à la fin du siècle, les carottes ne seraient pas en danger à -43°C."

L’idée s’est imposée quand les scientifiques ont observé la hausse des températures de plusieurs glaciers : à 10 ans d’intervalle, le glacier alpin du col du Dôme et le bolivien Illimani avaient pris 1,5 à 2°C !

"Nous sommes la seule communauté travaillant sur les climats du passé à voir disparaître ses archives", s’alarme le scientifique. "Il est temps de faire quelque chose, tout de suite, tant que les glaciers peuvent fournir une matière exploitable". Car déjà le réchauffement menace la qualité géochimique de la glace.

Carottes de 150 mètres

Dès 2009, les scientifiques français s’étaient associés à leurs collègues d’Amérique du sud pour lancer un appel international, sans grand écho.

Aujourd’hui, emmenés par le laboratoire de Grenoble, mais aussi l’Institut polaire français Paul-Emile Victor, l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le CNRS, avec le soutien de la fondation de l’université Joseph-Fourier de Grenoble, ils veulent s’y prendre autrement, en cherchant des mécènes pour monter les premières opérations. Comptant sur la labellisation de cette initiative par l’Unesco pour encourager les investisseurs.

Cette "initiative contribuera au mandat de l’Unesco", explique Anil Mishra, spécialiste d’hydrologie au sein de l’organisation internationale, qui dès les années 60-70 appelait à "un inventaire mondial des glaces pérennes et des glaciers, autant d’indicateurs du changement climatique".

Opérations de forage au Col du Dôme (Massif du Mont Blanc)
© Bruno Jourdain, LGGE/OSUG/UJF.

"Nous devons aider la science à mieux comprendre l’impact du climat sur les glaciers et la ressource en eau... afin de permettre aux pays de prendre les bonnes décisions, que ce soit en Inde, en Asie centrale, en Europe", ajoute-t-il.

Les porteurs du projet espèrent une première expédition au printemps 2016 au col du Dôme, sous l’arête sommitale du Mont-Blanc, à 4300 m. Un site "facile" à atteindre, par hélicoptère, pour une équipe dépêchée une vingtaine de jours.

En 2017 est prévue une mission sur l’Illimani, au-dessus de La Paz, qui sera un peu plus compliquée : 6.300 m d’altitude, accès difficile, nécessitant des porteurs, 50 jours de travail...

L’idée est de remonter à chaque fois trois carottes de 100 à 150 m (allant jusqu’au socle rocheux).

Le but à terme : constituer une opération associant Américains, Chinois, Italiens, Suisses, Sud-Américains... Là où se trouvent les glaciers très menacés, et ayant déjà beaucoup appris à la science : le Colle Gniffetti dans les Alpes, le Quelccaya au Pérou, le Dasuopu et le Guliya dans l’Himalaya chinois...

Ces glaces fournissent des informations régionales importantes. Le laboratoire de Grenoble travaille ainsi en ce moment avec les scientifiques du Népal pour tenter un forage dans l’Himalaya népalais, afin de comprendre l’évolution de la mousson indienne et les sources de pollution régionale.

La glace, archives de la composition de l’atmosphère et des climats, est un outil essentiel pour les climatologues. C’est elle qui permit par exemple d’établir le lien entre températures et gaz à effet de serre.

Mais elle sert aussi d’autres disciplines : l’étude des pollutions atmosphériques, la microbiologie... "Et puis qui sait ? dans plusieurs siècles des idées dont nous sommes bien loin aujourd’hui", souligne M. Chappellaz.

Contacts scientifiques locaux
 Jérôme Chappellaz, LGGE-OSUG : jerome |at| lgge.obs.ujf-grenoble.fr
 Patrick Ginot, OSUG : patrick.ginot |at| ird.fr
 Anne-Catherine Ohlmann, directrice de la fondation UJF : Anne-Catherine.Ohlmann |at| ujf-grenoble.fr

Cette actualité est également relayée par
 l’Agence France Presse - AFP (source)
 l’Université Joseph Fourier - UJF

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Mis à jour le 14 avril 2015