Incorporation de l’acide nitrique dans la neige : le mystère se dévoile

Le nitrate est l’espèce ionique la plus abondante des archives glaciologiques. Malgré ce statut avantageux, l’interprétation des concentrations dans la glace se heurte à une compréhension très limitée des mécanismes d’incorporation. Le nitrate est pourtant le produit de fin de chaine d’oxydation des oxydes d’azote dont le rôle sur la stabilité de l’activité oxydante de l’atmosphère est connu depuis longtemps. Pour percer l’information que le nitrate est susceptible d’emmagasiner, une équipe du laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement (LGGE/OSUG, CNRS / UGA) vient d’évaluer les principaux mécanismes. Longtemps considéré comme le moteur principal d’incorporation, le mécanisme d’adsorption (« collage » des molécules de gaz sur une surface) a été écarté au profit du mécanisme de co-condensation où le gaz est entrainé par les flux de vapeur d’eau et condense simultanément avec celle-ci. La paramétrisation développée au cours de ces travaux est ainsi disponible pour le développement de nouveaux modèles dédiés à l’étude de la chimie de la neige.

Les carottes de glace ont démontré depuis les années 1960 leur incroyable capacité à nous révéler le fonctionnement passé de notre climat, en mettant en exergue les différentes interactions et imbrications qui existent entre les forçages externes du climat (énergie solaire, volcanisme) et les amplificateurs propres au système terrestre (gaz à effet de serre, masse de glace continentale, circulation océanique et atmosphérique, etc.).
Certaines informations extraites de la glace sont directement en lien avec l’atmosphère, comme les gaz à effet de serre contenus dans les bulles d’air emprisonnées dans la glace, permettant ainsi de reconstruire assez simplement leurs évolutions passées. D’autres impuretés subissent de nombreuses transformations avant d’être archivées dans la glace. L’interprétation de leurs concentrations, pour en déduire le fonctionnement de l’atmosphère passée, nécessite donc une connaissance a priori de l’ensemble des mécanismes ayant conduit à leur présence dans la glace.

Le nitrate (NO3-), qui se trouve être l’espèce chimique la plus abondante de la neige Antarctique, tombe dans cette seconde catégorie d’impuretés. Sans une compréhension fine de sa présence dans la neige, il n’est pas possible d’interpréter les enregistrements glaciologiques. Pourtant, le nitrate est le produit de fin de chaine d’oxydation des oxydes d’azote (NO, NO2) dont la présence dans l’atmosphère joue un rôle primordial pour les équilibres photochimiques. Comprendre les mécanismes d’incorporation du nitrate dans la neige revêt donc un intérêt fondamental car les variations de sa concentration dans la glace pourraient révéler de précieuses informations sur la capacité oxydante des atmosphères passées.

Puits de neige à Concordia permettant de visualiser les couches d’accumulation de neige et leur échantillonnage précis
© Joel Savarino/CNRS

Dans l’atmosphère de bruit de fond de l’Antarctique, le nitrate atmosphérique se trouve essentiellement sous la forme d’un gaz, l’acide nitrique (HNO3), dont les propriétés physico-chimiques démontrent sa forte affinité à se « coller » et se dissoudre dans les cristaux de neige. L’interprétation correcte de la concentration en nitrate dans les carottes de glace repose donc en grande partie sur la compréhension détaillée des processus tels que l’adsorption, la diffusion ou la dissolution de l’acide nitrique dans la glace.

Dans le cadre du projet SUNITEDC (SUlfate and NITratE in Dome C air and snow) soutenu par l’Institut Polaire Paul-Emile Victor, le LabEx OSUG@2020 (Investissements d’avenir – ANR10 LABEX56) et le programme INSU LEFE/IMAGO, nous avons conduit un suivi sur le long terme des concentrations atmosphériques et des premiers millimètres de la neige en interaction directe avec l’atmosphère. Les nombreuses mesures acquises ont révélé que les premiers millimètres de neige à la surface du manteau neigeux voyaient leur concentration en nitrate augmenter fortement (d’un facteur 7 à 8, en moyenne) durant l’été austral alors que cette période correspond au maximum de destruction du nitrate de la neige par le rayonnement ultraviolet. S’il est facile d’en déduire que des processus intenses d’incorporation du nitrate dans la neige sont à l’œuvre, et contrebalancent les pertes dues à la photolyse, aucun étude n’avait élucidé la nature de ces processus.

Mise en place d’un dispositif de mesure de la surface spécifique de la neige de surface à Concordia
© Joel Savarino/CNRS
Vue d’ensemble de la station Concordia où l’étude a été menée
© Joel Savarino/CNRS

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sur les bases de travaux antérieurs, les processus d’adsorption, de diffusion et de solubilité de HNO3 dans la glace ont pu être quantifiés dans l’environnement Antarctique et comparés aux mesures. Cette première étape de notre travail a permis de conclure que les concentrations élevées de nitrate mesurées l’été dans la neige étaient fortement sursaturées par rapport à l’équilibre thermodynamique (Figure 1, courbe jaune), pointant vers l’existence d’un processus cinétique d’incorporation. Parmi les différents processus envisagés, la co-condensation, c’est-à-dire la condensation simultanée des gaz trace présents dans l’air interstitiel du manteau neigeux et de la vapeur d’eau, paraissait répondre à cette dynamique hors équilibre. Le manteau neigeux est en effet soumis à des gradients de température importants, qui génèrent de forts gradients de vapeur d’eau, et aboutissent à des modifications importantes de la morphologie des cristaux de neige facilement observables.
Un premier indice d’un lien possible entre flux de vapeur d’eau et incorporation de l’acide nitrique a été apporté par la corrélation observée entre l’augmentation du nitrate de la neige de surface et l’augmentation de la taille des grains de neige, donc des flux de vapeur d’eau. Fort de cette observation, nous avons alors développé une paramétrisation basée sur la description physique du processus, dans laquelle la température de la neige (et son gradient) génère un flux de vapeur d’eau, qui entraine avec lui les gaz trace. Après condensation à la surface d’un grain de neige, la diffusion en phase solide ayant lieu dans la matrice cristalline tend à ré-équilibrer la concentration en nitrate en direction de son équilibre thermodynamique. Un an de mesures a ainsi pu être modélisé de façon satisfaisante ; l’évolution des concentrations estivales de nitrate parvenant à être bien reproduite par le modèle (Figure 1, courbe rouge), ce dernier prenant en compte les processus d’adsorption, de diffusion, de solubilité et maintenant de co-condensation.
Cette étude met en exergue l’interaction entre les évolutions physique et chimique de la neige, et apporte des éclairages nouveaux pour l’interprétation des signaux nitrate contenus dans la neige et la glace. La paramétrisation développée pour le processus de co-condensation au cours de ces travaux est ainsi disponible pour le développement de nouveaux modèles dédiés à l’étude de la chimie de la neige.

Série temporelle de la concentration en nitrate dans la neige de surface à Dome C
Triangles bleus : mesures effectuées dans la neige de surface à Dome C. Ligne pointillée jaune : modélisation prenant en compte la solubilité prescrite par l’équilibre thermodynamique, et la diffusion en phase solide. Ligne continue rouge : modélisation reprenant les processus précédents et intégrant la paramétrisation développée pour le processus de co-condensation.

Source :
Bock, J., Savarino, J. and Picard, G. : Air–snow exchange of nitrate : a modelling approach to investigate physicochemical processes in surface snow at Dome C, Antarctica, Atmospheric Chemistry and Physics, 16(19), 12531–12550, doi:10.5194/acp-16-12531-2016, 2016.

Contact scientifique local :
 Joël Savarino, LGGE/OSUG : joel.savarino (at) univ-grenoble-alpes.fr

Mis à jour le 8 décembre 2016