Des hauts et des bas en Himalaya : une affaire d’écoulement du manteau

Des chercheurs d’ISTerre (équipe TRB) proposent que l’écoulement du manteau supérieur soit responsable à la fois de la surrection de l’ensemble Himalaya-Tibet et de la subsidence de la plaine du Gange, survenues depuis le début de la collision Inde-Asie à partir de 15 millions d’années. Les explications invoquaient jusque-là d’autres mécanismes : le délestage du manteau dense de la lithosphère tibétaine en profondeur et la subsidence de l’avant-pays due à une flexion de la lithosphère indienne sous la charge himalayenne. Cette étude a été publiée le 17 octobre dans la revue Geology.

Lorsque des panneaux lithosphériques entrent en subduction, ils entraînent un écoulement visqueux du manteau qui distord la surface, ce que l’on appelle la « topographie dynamique » . Les changements de géométrie de ces panneaux modifient au cours du temps cet écoulement et donc la topographie de surface.

Dans le cas de la collision Inde-Asie, le panneau plongeant de la plaque Indo-australienne a été emporté vers le Nord sous l’Eurasie à mesure que le continent indien emboutissait l’Eurasie. Etiré et déformé au cours de cet épisode, le panneau plongeant a changé de géométrie. Les auteurs de cette publication se sont intéressés à l’impact de ces évolutions sur la topographie dynamique de l’Himalaya-Tibet et de la plaine du Gange.

Tout d’abord pour l’actuel

Convergence entre l’Inde et l’Asie.
Les contours en jaune indiquent la profondeur du bassin sédimentaire du Gange (en km). Les contours rouge et bleu indiquent respectivement la surrection et la subsidence dynamique, modélisées pour l’actuel. En cartouche : limites de plaques en rouge ; lh - Lhasa ; th - Himalaya théthysien ; h - Himalaya ; si - Siwalik.
© L. Husson et al. 2014

Les données de l’imagerie sismique (tomographie) ont permis de déterminer le champ de densité dans le manteau et l’écoulement visqueux associé qui induit la subsidence dynamique de la surface. Le creux ainsi prédit est centrée dans le bassin du Gange, là où les sédiments sont les plus épais et son amplitude (en tenant compte du poids des sédiments le remplissant) est du même ordre de grandeur que l’épaisseur réelle du bassin. Ceci suggère qu’un fort excès de masse se trouve à présent à cet emplacement, sous le Nord de l’Inde, et pourrait infléchir la surface du continent sans que la flexure élastique de la plaque indienne ne doive être invoquée.

En remontant dans le passé

Position de l’Inde et géométrie proposée pour le panneau plongeant indien (isocontours de 200 km), à 30 Ma et 0 Ma, relativement à l’Eurasie stable.
Les flèches indiquent la vergence du panneau plongeant (inversée à 0 Ma, sous l’Inde).
© L. Husson et al. 2014

L’existence de cette anomalie de masse n’est pas en soi une découverte, elle correspond au fait que le panneau indien plongeant qui avance vers le nord sous le continent, ploie et se recourbe vers le sud. Afin d’explorer la situation passée les auteurs ont affiné les reconstructions cinématiques de la plaque indienne en tenant compte de cette évolution supposée. La lithosphère indienne plongeait vers le Nord avant la collision, de façon continue depuis l’arc indonésien jusqu’au Zagros. Au cours de la collision indienne, le panneau plongeant indien s’est progressivement recourbé sous l’Inde, puis étiré et détaché d’abord aux extrémités du continent indien, puis vers le centre.

Schéma conceptuel de l’évolution dynamique de la subduction indienne et de la topographie associée.
© L. Husson et al. 2014

Dans ce scénario, la déflection (le creux) dynamique de la surface aurait migré du Nord vers le Sud, c’est-à-dire de l’Himalaya vers l’Inde. Pour vérifier cette hypothèse, les auteurs ont utilisé des reconstructions synthétiques de la tomographie sismique pour les périodes plus anciennes et retrouvé la géométrie passée du panneau plongeant. Ceci leur a permis de calculer l’évolution dans le passé de l’écoulement autour du panneau plongeant et la topographie dynamique associée. Les résultats des modèles prédictifs confirment que la migration du panneau plongeant est accompagnée d’une migration de la déflection dynamique de la surface. L’ensemble se traduit d’une part par une surrection de près de 1000 mètres de la surface en Himalaya et au sud du Tibet, au Miocène entre 25 Ma et 15 Ma, et d’autre part par le creusement d’un bassin profond de plusieurs milliers de mètres, au front sud de l’Himalaya.

Cartes de la topographie dynamique prédite à 0 Ma et 30 Ma (échelle du haut) pour une zone de convergence Inde-Asie idéalisée.
Le triangle rose donne la position de l’Inde. Les iscontours (100 km) donnent la géométrie du panneau plongeant. La carte d’équivalence en surrection/ subsidence (échelle du bas) est donnée par la différence entre les deux cartes du haut. Les échelles sont doubles selon que la compensation est aérienne ou sédimentaire (ce qui multiplie l’amplitude de la déflection d’un facteur 6).
© L. Husson et al. 2014

La conformité du modèle avec les observations et la chronologie des mouvements verticaux laisse présager la possibilité que la topographie dynamique transitoire répondant à la subduction de la lithosphère indienne soit une cause unique permettant d’expliquer la surrection rapide de l’Himalaya et la subsidence de l’avant-pays, sans qu’il paraisse indispensable de faire appel à d’autres événement tels que le délestage du manteau lithosphérique ou la flexion élastique de la lithosphère indienne.

L’enregistrement géologique suggère que des mouvements verticaux comparables se sont produits antérieurement à l’Eocène (entre 50 et 40 Ma). La probable coïncidence temporelle avec le détachement présumé d’un panneau plongeant à cette époque laisse penser que la topographie dynamique a pu être un acteur majeur auparavant dans cette région.

De tels mouvements verticaux ont été identifiés dans la plupart des chaînes de montagnes. Cela laisse présumer que la topographie dynamique, et donc la dynamique du manteau supérieur, serait un contributeur fondamental au façonnement de la topographie des chaînes de montagnes.

 

Contact scientifique local :
Laurent HUSSON, ISTerre-OSUG :
laurent.husson [at] ujf-grenoble.fr
04 76 63 52 41

 
 
 
 
 
 

Référence :
Dynamic ups and downs of the Himalaya.
Laurent Husson1,2, Matthias Bernet1,2, Stéphane Guillot1,2, Pascale Huyghe1,2, Jean-Louis Mugnier1,3, Anne Replumaz1,2,Xavier Robert1,2,4 and Peter Van der Beek1,2, Geology October 2014.

1. Université de Grenoble Alpes, Institut des Sciences de la Terre (ISTerre), Grenoble,
2. CNRS, Institut des Sciences de la Terre, Grenoble
3. Université de Savoie, Institut des Sciences de la Terre, Le Bourget du Lac,
4. IRD, Institut des Sciences de la TerreGrenoble

 

Cette actualité est également relayée par :

  • l’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU
  • l’Université Joseph Fourier - UJF

 
 
 
 
 

Mis à jour le 31 octobre 2014