L’importance de l’échelle nanométrique dans l’interprétation des datations in-situ

Une équipe de chercheurs français de l’Institut des sciences de la Terre de Grenoble (ISTerre, CNRS/UGA/Univ Savoie Mont Blanc/IRD/IFSTTAR) et du Laboratoire magmas et volcans de Saint-Etienne et Clermont-Ferrand (LMV CNRS/UBP/UJM) démontre la nécessité de procéder à des mesures nanométriques dans les chronomètres géologiques que sont certains minéraux comme la monazite, pour identifier et dater correctement les différentes étapes de cristallisations ou d’altération. Cette étude qui représente une avancée importante dans le domaine de la géochronologie, a été publiée dans la revue Geology.

La datation in-situ a bouleversé la géochronologie en permettant de dater et distinguer les épisodes géologiques enregistrés par une roche à partir de la datation d’un cristal. C’est par exemple en datant des micro-domaines dans des cristaux de zircons (Jack Hills, Australie), que le plus vieux matériel terrestre, datant de 4,4 Milliards d’années, a été découvert.

La monazite (phosphate d’éléments de terres rares) est l’un des minéraux le plus utilisé pour la datation in-situ, car elle cristallise dans des conditions géologiques très diverses (diagénétiques [1], métamorphiques, magmatiques et hydrothermales). De plus, ce minéral enregistre et accumule les informations à partir du début de sa cristallisation (âge zéro) et les conserve tant qu’il n’est pas affecté par un nouvel épisode de cristallisation qui remettra ses « pendules » à l’heure en remettant son chronomètre à zéro [2]. A chaque évènement correspondra donc un domaine de composition et d’âge différent, si bien sûr le cristal n’est pas entièrement dissout lors d’un de ces épisodes. Différentes zones sont alors observées grâce aux techniques de microscopie électronique (Back-Scattered Electron, BSE, Figure A) et leur datation in-situ permet, en théorie, d’obtenir les âges successifs de cristallisation.

Figure A- Image de Microscopie Electronique à Balayage en électrons rétrodiffusés (BSE) d’une monazite de Madagascar (mnz1 en gris clair) partiellement altérée (alt mnz en gris foncé). B- Cristal de monazite altéré en laboratoire à 500°C, vu en BSE, montrant des textures similaires à celle de Madagascar. C- Résultats de l’analyse in situ par Microsonde électronique (EPMA) dans la zone altérée de la figure B (alt mnz). L’âge ainsi obtenu n’a aucune signification (âge intermédiaire entre celui de la monazite primaire -554 Ma- et celui de l’expérience – 0 Ma). D- L’observation nanométrique au MET (STEM-DF) de la coupe FIB (localisation en B) révèle la présence de domaines nanométrique de monazite secondaires sans Pb (mnz2 ; âge 0 Ma) et de monazite primaires (mnz1). Le domaine analysé par EPMA (délimité par les tirets en rouge) donnera un âge sans aucune signification puisque résultant de l’analyse de mélange de ces domaines nanométriques (mnz1 + mnz2).

Dans cette étude combinant expériences hydrothermales (300-600°C, 2kbar, fluides NaOH) et analyses de pointe jusqu’à l’échelle nanométrique, des chercheurs des laboratoires ISTerre (Grenoble) et LMV (Saint-Etienne et Clermont-Ferrand), démontrent que l’échelle micrométrique, atteinte par les techniques de datation in-situ utilisées actuellement (Microsonde électronique-EPMA et Ablation Laser couplée à un spectromètre de masse-LA-ICP-MS), pourrait se révéler encore insuffisante pour obtenir des âges ayant une signification géologique.

Des cristaux de monazite initialement homogènes ont été altérés expérimentalement. L’observation des produits expérimentaux au Microscope Electronique à Balayage révèle une monazite zonée avec des domaines primaires (mnz1) entourés d’une bordure d’altération (alt mnz-figure B). Pour vérifier si les âges sont effectivement bien remis à zéro lors de ce nouvel épisode de cristallisation en laboratoire, les zones altérées ont été datées in-situ par les méthodes classiques (LA-ICP-MS au LMV et microsonde électronique à ISTerre). Les deux techniques convergent et donnent des âges intermédiaires entre celui de la monazite initiale (datée à 554 ± 11 Ma) et un âge zéro (Figure C), celui de l’expérience. Par exemple, lors de l’expérience à 500°C l’analyse in situ dans la monazite altérée (Figure B) donne un âge intermédiaire centré autour de 163 ± 54 Ma (Figure C). Seule l’analyse par Microscopie Electronique en Transmission (MET) de coupes FIB (Focused Ion Beam) réalisées à l’interface entre ces auréoles de monazites altérées et la monazite primaire (Figure B), permet de fournir une explication quant à cette remise à zéro partielle**. Lors de l’altération, à l’échelle nanométrique, le remplacement [3] dans les domaines altérés de monazite primaire par de la monazite secondaire est incomplet (Figure D) : ces domaines sont constitués d’un mélange nanométrique de monazite secondaires sans Pb (mnz2) et de monazite primaires (mnz1). La mesure in situ, par exemple par EPMA (Figure D ; volume analysé visualisé par les tirets en rouge), correspondra à une analyse de mélange de domaines nanométriques (mnz1 + mnz2) et donnera un âge sans aucune signification géologique !

Cette étude a des implications très importantes en géochronologie puisqu’elle propose une nouvelle explication à certaines perturbations des systèmes chronométriques et pourra certainement permettre de mieux appréhender certains âges obtenus dans des minéraux montrant des zonations complexes. La solution passe certainement par un couplage étroit entre mesures d’âges in situ et caractérisations à l’échelle nanométrique !

Source :
Partial resetting of the U-Th-Pb systems in experimentally altered monazite : Nanoscale evidence of incomplete replacement (2016). Alexis Grand’Homme, Emilie Janots, Anne-Magali Seydoux-Guillaume, Damien Guillaume, Valérie Bosse, and Valérie Magnin. Geology, doi:10.1130/G37770.1

Cette étude a été possible grâce au soutien de l’ANR (ANR JC Mona ; PI E. Janots)

Contact scientifique local :
 Emilie Janots, ISTerre/OSUG : emilie.janots (at) univ-grenoble-alpes.fr

Cette actualité est également relayée par
 l’institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)
 l’université Grenoble Alpes (UGA)


Notes
1. La diagenèse est l’ensemble des processus qui transforme les sédiments meubles en roche après leur dépôt.
2. La désintégration radioactive de l’uranium (U) et du thorium (Th) (éléments père radioactifs et instables) donne du plomb (Pb ; élément fils radiogénique et stable). Les éléments père (P) et fils (F) sont liés entre eux par la constante de désintégration λ et le temps t [F=P(eλt-1)]. Si lors de la cristallisation du minéral celui-ci n’incorpore pas d’élément fils, son horloge sera bien à zéro et l’âge, déterminé en fonction de la quantité de plomb, aura une signification géologique, c’est-à-dire l’âge de cristallisation. Si le minéral cristallise en incorporant un peu de fils l’âge sera faussé et n’aura aucune signification géologique (i.e. remise à zéro partielle).
3. Remplacement : processus de dissolution-précipitation couplée à l’interface réactionnelle qui en progressant (de l’extérieur vers l’intérieur) aboutit à la transformation d’un minéral en un autre (ici mnz1 et alt mnz).

Mis à jour le 25 août 2016