Première preuve sismologique de subduction continentale sous les Alpes occidentales

Dans un article publé dans Geology [1], une équipe associant sismologues et géologues de l’ISTerre de Grenoble, l’IGGCAS (Institute of Geophysics and Geology, Chinese Academy of Sciences, Pékin, Chine), l’INGV (Istituto Nazionale di Geofisica e Vulcanologia, Gênes & Bologne, Italie) et l’Université Milano-Bicocca (Milan, Italie) apporte des preuves décisives de l’enfouissement de croûte continentale européenne dans le manteau adriatique sous le massif de Dora Maira.

Carte des expériences sismiques et sismologiques dans les Alpes occidentales, dont le profil ECORS-CROP et l’expérience CIFALPS

Dans les années suivant l’avènement de la tectonique des plaques, on pensait la subduction continentale impossible du fait de la faible densité de la croûte continentale. C’est la découverte de coésite, minéral de ultra-haute pression (UHP) formé à plus de 90 km de profondeur, dans des roches métamorphiques du massif de Dora Maira (Alpes occidentales) qui a apporté la première preuve de l’enfouissement (et l’exhumation) de croûte continentale à grande profondeur (Chopin, 1984). Depuis cette date, de nombreux affleurements de roches métamorphiques de UHP aux caractéristiques similaires à celles de Dora Maira ont été découverts dans toutes les chaînes de collision. Le concept de subduction continentale est donc très largement accepté aujourd’hui. Pourtant, il est extrêmement rare qu’un lien direct puisse être établi par imagerie géophysique entre la présence de coésite en surface et celle de croûte continentale enfouie à grande profondeur. Dans les Alpes occidentales, les traces les plus profondes du Moho européen ont été détectées par sismique réflexion grand-angle à 50 km sous le massif du Grand Paradis lors des expériences ECORS-CROP, donc bien en deçà des 90 km indiqués par la coésite.

Aujourd’hui, les résultats issus de l’analyse des données de l’expérience sismologique CIFALPS [2], menée en 2012-2013 dans les Alpes franco-italiennes (voir carte dans figure ci-contre), prouve l’existence de la subduction continentale . En utilisant les ondes issues de séismes lointains et converties sur les discontinuités de vitesse sous le réseau, Zhao et al. (2015) prouvent que le Moho européen s’enfonce jusqu’à 75 km de profondeur sous Dora Maira (voir figure ci-contre). Ils montrent également que la zone de suture entre les deux lithosphères est très épaisse et caractérisée par des ondes converties de polarités négatives (en bleu sur la figure ci-contre), indiquant que la vitesse des ondes sismiques décroit du haut vers le bas. Cette observation prouve que la croûte inférieure européenne enfouie à 75 km, dont la vitesse sismique est relativement lente, est surmontée par des roches de vitesses plus rapides, donc nécessairement mantelliques. La démonstration est ainsi faite que la lithosphère continentale européenne plonge dans le manteau de la microplaque Adria. Les géologues et géophysiciens de l’équipe CIFALPS proposent finalement une nouvelle coupe interprétative construite sur la base des contraintes géologiques et géophysiques (sismologiques et gravimétriques) dont ils ont testé la conformité avec les données par simulation numérique (voir figure).

Les nouvelles données géophysiques du projet CIFALPS et cette coupe d’échelle lithosphérique établissent, pour la première fois, un lien direct entre la lithosphère européenne enfouie par subduction dans le manteau adriatique et les minéraux de UHP en surface. Ce lien est démontré, non seulement là où la coésite fût découverte, mais aussi sous la seule chaîne de collision continentale qui conserve l’intégralité de l’enregistrement métamorphique, structural et stratigraphique de la subduction et de l’exhumation.

En haut, profil sismique en fonctions récepteur, après migration-profondeur, le long du profil CIFALPS (de la vallée du Rhône à la plaine de Pô) ; en dessous, coupe interprétative d’échelle lithosphérique
(Haut) Les zones en rouge correspondent aux discontinuités où la vitesse sismique augmente avec la profondeur. Les zones en bleu correspondent à celles où la vitesse décroit vers le bas. Le trait noir continu est le Moho européen. La courbe en pointillés marque le contact entre le manteau adriatique (corps d’Ivrée) situé en position haute et les roches métamorphiques de la croûte européenne en profondeur.
(Bas) FPT : Chevauchement Pennique frontal ; Br : Zone Briançonnaise ; SL : Schistes lustrés ; DM : Dora Maira.
Contact scientifique local
 Anne Paul, ISTerre-OSUG : anne.paul |a| ujf-grenoble.fr

[1Zhao, L., A. Paul, S. Guillot, et al., First seismic evidence for continental subduction beneath the Western Alps, Geology, v. 43, n° 9, 815-818, Sept. 2015.

[2Le projet CIFALPS (China-Italy-France Alps seismic survey) est financé par le « State Key Laboratory of Lithospheric Evolution » (Chine), la « National Natural Science Foundation of China », le LabEx OSUG@2020 (Investissements d’avenir ; ANR10 LABX56) et l’ISTerre (France).

Mis à jour le 14 septembre 2015