Tchouri sous l’œil de Rosetta

communiqué diffusé le 26 janvier 2015, par l’Université Joseph Fourier

De forme surprenante en deux lobes et de forte porosité, le noyau de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko (surnommée Tchouri) révèle une large gamme de caractéristiques grâce aux instruments MIRO, VIRTIS et OSIRIS de la mission Rosetta de l’ESA, à laquelle participent notamment des chercheurs du CNRS, de l’Observatoire de Paris et de plusieurs universités [1], avec le soutien du CNES.
Les premiers résultats d’observation de ces instruments sont publiés dans la revue Science du 23 janvier. L’instrument VIRTIS auquel sont associés des chercheurs de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG - CNRS/UJF) de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Grenoble (OSUG) montre notamment que la comète est très sombre et chaude (180-230K) et est riche en matériaux organiques avec très peu de glace (< 1%) en surface. L’instrument RPC-ICA a quant à lui retracé l’évolution de la magnétosphère de la comète alors que l’instrument ROSINA cherche les témoins de la naissance du Système solaire.

Le noyau de 67P/Churyumov-Gerasimenko

Les images de la comète 67P prises par la caméra OSIRIS montrent une forme globale inhabituelle composée de deux lobes séparés par un « cou » dont l’origine demeure inexpliquée. Sa surface de composition globalement homogène présente une grande diversité de structures géologiques qui résultent des phénomènes d’érosion, d’effondrement et de redéposition. L’activité de la comète, surprenante à grande distance du soleil, se concentre actuellement dans la région du « cou ». L’ensemble des images a permis de réaliser un modèle en trois dimensions de la comète et la topographie détaillée du site original d’atterrissage de Philae. Combiné avec la mesure de la masse, ce modèle a donné la première détermination directe de la densité d’un noyau cométaire qui implique une très forte porosité. Ce modèle fournit également le contexte « cartographique » pour l’interprétation des résultats des autres expériences.

Exemple de trou circulaire observé sur le noyau de la comète 67P
L’augmentation du contraste révèle la présence d’activité. Image prise par la caméra OSIRIS-NAC le 28 août 2014 depuis une distance de 60 km, avec une résolution spatiale de 1 m/pixel.
© ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA

Les propriétés de surface de 67P/Churyumov-Gerasimenko

Carte de température sous la surface du noyau (en iso-contours) mesurée par l’instrument MIRO
L’illumination de la surface du noyau est représentée en arrière-plan. Les plus basses températures (-250 °C, en bleu) sont sur la face non ensoleillée (à gauche sur la figure).
© Gulkis et al.

L’instrument MIRO a permis aux chercheurs d’établir une carte de la température de la proche sous surface de 67P. Celle-ci montre des variations saisonnières et diurnes de température qui laissent supposer que la surface de 67P est faiblement conductrice au niveau thermique, en raison d’une structure poreuse et peu dense. Les chercheurs ont également effectué des mesures du taux de production d’eau de la comète. Celui-ci varie au cours de la rotation du noyau, l’eau dégagée par la comète étant localisée dans la zone de son « cou ».

Une comète riche en matériaux organiques

VIRTIS a fourni les premières détections de matériaux organiques sur un noyau cométaire. Ses mesures de spectroscopie indiquent la présence de divers matériaux contenant des liaisons carbone-hydrogène et/ou oxygène-hydrogène, la liaison azote-hydrogène étant très peu abondante. Ces espèces sont associées avec des minéraux opaques et sombres tels que des sulfures de fer (pyrrhotite ou troïlite). Par ailleurs, ces mesures indiquent qu’aucune zone riche en glace de taille supérieure à une vingtaine de mètres n’est observée dans les régions illuminées par le Soleil, ce qui indique une forte déshydratation des premiers centimètres de la surface.

La composition de la surface de la comète est très homogène avec une petite différence au niveau de la région du cou qui contiendrait peut-être un peu de glace
© ESA/Rosetta/VIRTIS/INAF-IAPS/OBS DE PARIS-LESIA/DLR

La naissance de la magnétosphère d’une comète

En utilisant l’instrument RPC-ICA (Ion Composition Analyser), les chercheurs ont retracé l’évolution des ions aqueux, depuis les premières détections jusqu’au moment où l’atmosphère cométaire a commencé à stopper le vent solaire (aux alentours de 3,3 UA) [2]. Ils ont ainsi enregistré la configuration spatiale de l’interaction précoce entre le vent solaire et la fine atmosphère cométaire, à l’origine de la formation de la magnétosphère de « Tchouri ».

67P/Churyumov-Gerasimenko, témoin de la naissance du Système Solaire

Formées il y a environ 4,5 milliards d’années et restées congelées depuis, les comètes conservent les traces de la matière primitive du Système Solaire. La composition de leur noyau et de leur coma donne donc des indices sur les conditions physico-chimiques du système solaire primitif. L’instrument ROSINA de la sonde Rosetta a mesuré la composition de la coma de 67P (la coma, ou chevelure, est une sorte d’atmosphère assez dense entourant le noyau, elle est composée d’un mélange de poussières et de molécules de gaz) en suivant la rotation de la comète. Ces résultats indiquent de grandes fluctuations de la composition de la coma hétérogène et une relation coma-noyau complexe où les variations saisonnières pourraient être induites par des différences de températures existant juste sous la surface de la comète.

Rapport CO2/H2O mesuré par ROSINA sur la comète durant la période du 17 août au 22 septembre 2014
© ESA/Rosetta/ROSINA/UBern, BIRA, LATMOS, LMM, IRAP, MPS, SwRI, TUB, Umich (version courte : ESA/Rosetta/ROSINA)

Les poussières de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko

Le détecteur de poussière GIADA a déjà récolté une moisson de données (taille, vitesse, direction, composition) sur les poussières de dimensions de 0,1 à quelques millimètres émises directement par le noyau. En complément, les images d’OSIRIS ont permis de détecter des poussières plus grosses en orbite autour du noyau, probablement émises lors du précédent passage de la comète.

Contact scientifiques locaux
 Bernard Schmitt, directeur de recherche CNRS (IPAG/OSUG), « co-investigateur » de l’instrument VIRTIS de Rosetta : bernard.schmitt |a| obs.ujf-grenoble.fr
 Eric Quirico, professeur UJF (IPAG/OSUG), « co-investigateur » de l’instrument VIRTIS de Rosetta : eric.quirico |a| obs.ujf-grenoble.fr
 Pierre Beck, maître de conférences UJF (IPAG/OSUG), scientifique associé à l’instrument VIRTIS de Rosetta : pierre.beck |a| obs.ujf -grenoble.fr
 Lydie Bonal, astronome-adjoint OSUG (IPAG/OSUG), scientifique associé à l’instrument VIRTIS de Rosetta : lydie.bonal |a| obs.ujf-grenoble.fr

Cette actualité est également relayée par
 l’Université Joseph Fourier - UJF
 l’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU
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Références
 Subsurface properties and early activity of comet 67P/Churyumov-Gerasimenko, S.Gulkis et al., Science, 23 janvier 2015.
 67P/Churyumov-Gerasimenko : The Organic-rich surface of a Kuiper Belt comet as seen by VIRTIS/Rosetta, F. Capaccioni et al., Science, 23 janvier 2015.
 On the nucleus structure and activity of comet 67P/Churyumov-Gerasimenko,H. Sierks et al., Science, 23 janvier 2015.
 The Morphological Diversity of Comet 67P/Churyumov-Gerasimenko, N.Thomas et al., Science, 23 janvier 2015.
 Dust Measurements in the Coma of Comet 67P/Churyumov-Gerasimenko Inbound to the Sun Between 3.7 and 3.4 AU, A. Rotundi et al., Science, 23 janvier 2015.
 Birth of a comet magnetosphere : A spring of water ions, H. Nilsson et al., Science, 23 janvier 2015.
 Time variability and heterogeneity in the coma of 67P/Churyumov-Gerasimenko, M. Hässig et al., Science, 23 janvier 2015.

Les laboratoires français impliqués dans ces études sont :
 Laboratoire d’astrophysique de Marseille (CNRS/ Aix-Marseille Université)
 Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (CNRS/Observatoire de Paris/UPMC/Université Paris Diderot)
 Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (CNRS/UPMC/UVSQ)
 Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier)
 Laboratoire de physique et de chimie de l’environnement et de l’espace (CNRS/Université d’Orléans)
 Institut de planétologie et astrophysique de Grenoble (CNRS/Université Joseph Fourier)
 Laboratoire d’étude du rayonnement et de la matière en astrophysique et atmosphères (CNRS/Observatoire de Paris/UPMC/ENS/Université de Cergy-Pontoise)
 Institut d’astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Sud)
 Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CNRS/Université de Lorraine)

[1Aix-Marseille Université, UPMC, Université Paris Diderot, UVSQ, Université Toulouse III – Paul Sabatier, Université d’Orléans, Université Joseph Fourier, Université de Cergy-Pontoise, Université Paris-Sud, Université de Lorraine ainsi que l’Ecole Normale Supérieure.

[2L’unité astronomique (UA) représente la distance moyenne Terre-Soleil. La valeur de 150 millions de kilomètres est communément admise pour 1 UA.

Mis à jour le 29 janvier 2015