La diversité génétique : face cachée et ignorée de la biodiversité

communiqué publié le 25 septembre
Phyteuma hemisphaericum
© Pierre Taberlet - LECA (CNRS/Université Joseph Fourier Grenoble/Université de Savoie)

A l’avenir, les politiques de conservation devront-elles tenir compte de la diversité génétique au sein de chaque espèce ? Au terme d’une vaste étude sur les plantes vivant en altitude, conduite dans l’ensemble du massif alpin et du massif des Carpates [1], une équipe internationale de 15 laboratoires, coordonnée par le LECA, montre que les milieux où la richesse génétique des espèces est la plus grande ne sont pas forcément ceux comptant le plus d’espèces. Ces résultats, publiés le 25 septembre 2012 dans Ecology Letters, ouvrent des perspectives en matière de stratégies de protection de la biodiversité.

Depuis la Conférence de Rio en 1992, il est admis que la biodiversité comprend trois niveaux emboîtés : la diversité des écosystèmes, la diversité des espèces composant l’écosystème, et la diversité génétique à l’intérieur de chaque espèce. Une grande diversité génétique est un atout pour une espèce car elle lui permet de s’adapter plus facilement, par le biais de l’évolution, aux modifications de son environnement, parmi lesquels ceux induits par le changement climatique. Lors de la conception de parcs ou de réserves naturelles, seuls les niveaux "écosystème" et "espèce" sont pris en compte. La diversité génétique est ignorée car d’une part elle est difficile à évaluer et, d’autre part, elle était supposée varier comme la richesse en espèces. Autrement dit, l’idée dominante était que plus il y avait d’espèces dans un milieu, plus la diversité génétique à l’intérieur de chaque espèce était grande.

Dryas octopetala
© Serge Aubert - LECA (CNRS/Université Joseph Fourier Grenoble/Université de Savoie)

Dans le cadre du projet européen IntraBioDiv, un consortium international composé de 15 laboratoires et coordonné par le Laboratoire d’écologie alpine a testé pour les plantes d’altitude (celles vivant au-dessus de 1500 mètres), l’hypothèse de co-variation entre la richesse en espèces et la diversité génétique. Ces deux niveaux de biodiversité ont été comparés en traçant des cartes de leur répartition sur l’ensemble du massif alpin et du massif des Carpates. Pour les réaliser, les chercheurs ont divisé ces régions montagneuses en secteurs d’environ 25 km de côté. Puis, ils ont compté, lors de campagnes menées sur le terrain, le nombre d’espèces de plantes d’altitude qui étaient représentées dans chacune de ces 561 zones d’études. Avant de procéder, en laboratoire, à l’analyse génétique de plus de 14 000 spécimens récoltés sur le terrain.

Le résultat marquant est que la richesse en espèces et la diversité génétique varient indépendamment l’un de l’autre, aussi bien dans les Alpes que dans les Carpates. Ainsi dans les Alpes, c’est la région située au Sud-Ouest, au niveau de la frontière entre la France est l’Italie qui est la plus riche en espèces, alors que la plus grande diversité génétique se situe soit dans les Alpes Centrales en Suisse, soit au Nord-Est, en Autriche.

La diversité génétique est pour l’instant ignorée dans la conception de zones protégées, malgré son importance pour le futur des espèces. Il serait souhaitable qu’elle soit prise en compte dans l’établissement des stratégies de conservation, au même titre que la diversité des écosystèmes et des espèces. La révolution technologique que nous connaissons actuellement pour le séquençage de l’ADN devrait permettre des évaluations à grande échelle de cette biodiversité à l’intérieur des espèces, et devrait conduire à une meilleure application de la Convention sur la Diversité Biologique, adoptée lors du sommet de la Terre à Rio en 1992.

Comparaison de la richesse en espèces et de la diversité génétique sur l’ensemble du massif alpin.
© Pierre Taberlet - LECA (CNRS/Université Joseph Fourier Grenoble/Université de Savoie)

Contact scientifique
 Pierre Taberlet, LECA : pierre.taberlet ujf-grenoble.fr

Relais de partenaires et couverture médiatique

Référence
Genetic diversity in widespread species is not congruent with species richness in alpine plant communities, P. Taberlet1, N. E. Zimmermann2, T. Englisch3, A. Tribsch3, R. Holderegger2, N. Alvarez4, H. Niklfeld3, G. Coldea5, Z. Mirek6, A. Moilanen7, W. Ahlmer8, P. Ajmone-Marsan9, E. Bona10, M. Bovio10, P. Choler1, E. Cieślak6, L. Colli9, V. Cristea11, J-P. Dalmas12, B. Frajman13, L. Garraud12, M. Gaudeul1, L. Gielly1, W. Gutermann3, N. Jogan13, A. A. Kagalo14, G. Korbecka6, P. Küpfer4, B. Lequette15, D. R. Letz16, S. Manel1, G. Mansion4, K. Marhold16, F. Martini10, R. Negrini9, F. Niño17, O. Paun3, M. Pellecchia9, G. Perico10, H. Piękoś-Mirkowa6, F. Prosser18, M. Puşcaş11, M. Ronikier6, M. Scheuerer8, G. M. Schneeweiss3, P. Schönswetter3, L. Schratt-Ehrendorfer3, F. Schüpfer4, A. Selvaggi19, K. Steinmann2, C. Thiel-Egenter2, M. Van Loo3, M. Winkler3, T. Wohlgemuth2, T. Wraber13, F. Gugerli2, Ecology Letters, 25 septembre 2012.

Lire l’article (en anglais).


1 Laboratoire d’Ecologie Alpine, CNRS UMR 5553, Université Joseph Fourier, BP 43, 38041, Grenoble Cedex 9, France
2 WSL Swiss Federal Research Institute, Zürcherstrasse 111, 8903, Birmensdorf, Switzerland
3 Faculty Centre of Biodiversity, University of Vienna, Rennweg 14, 1030, Vienna, Austria
4 Laboratoire de Botanique Evolutive, Université de Neuchâtel, 11, rue Emile-Argand, 2007, Neuchâtel, Switzerland
5 Institute of Biological Research, Str. Republicii nr. 48, 400015, Cluj-Napoca, Romania
6 Institute of Botany, Polish Academy of Sciences, Lubicz 46, 31-512, Krakow, Poland
7 Department of Biosciences, P.O. Box 65 (Biocenter III), FI-00014 University of Helsinki, Finland
8 University of Regensburg, Institute of Botany, 93040, Regensburg, Germany
9 Biodiversity and ancient DNA Research Center – BioDNA – and Institute of Zootechnics, Universita Cattolica del S. Cuore, via E. Parmense, 84, 29122, Piacenza, Italy
10 Dipartimento di Biologia, Universita` di Trieste, Via L. Giorgieri 10, 34127, Trieste, Italy
11 Babes-Bolyai University, 400015, Cluj-Napoca, Romania
12 Conservatoire Botanique National Alpin - CBNA, Domaine de Charance, 05000, Gap, France
13 Univerza v Ljubljani, Oddelek za biologijo BF, Vecna pot 111, 1000, Ljubljana, Slovenia
14 Institute of Ecology of the Carpathians N.A.S. of Ukraine, 4 Kozelnitska str., 79026, Lviv, Ukraine
15 Parc national du Mercantour, 23 rue d’Italie, BP 1316, 06006, Nice Cedex 1, France
16 Institute of Botany of Slovak Academy of Sciences, Department of Vascular Plant Taxonomy, Dubravskacesta 9, 845 23, Bratislava, Slovakia
17 Medias-France/IRD, CNES - BPi 2102, 18, Av. Edouard Belin, F-31401, Toulouse Cedex 9, France
18 Museo Civico, Largo S. Caterina 41, 38068, Rovereto, Italy
19 Istituto per le Piante da Legno e l’Ambiente, c.so Casale, 476, 10132, Torino, Italy

[1Le massif des Carpates s’étend sur 209 000 km2 et couvre plusieurs pays d’Europe centrale parmi lesquels la Roumanie, la Slovaquie, l’Ukraine et la Pologne.

Mis à jour le 27 septembre 2012