La plus légère des exoplanètes jamais photographiée ?

Une équipe conduite par des astronomes de l’IPAG a découvert et imagé, grâce au Very Large Telescope (VLT) de l’ESO, une probable exoplanète ayant une masse comprise seulement entre 4 et 5 fois celle de Jupiter. C’est la planète la moins massive à avoir été directement observée par un télescope, contrairement aux méthodes indirectes, en dehors de notre système solaire. Cette découverte va apporter une contribution majeure à notre compréhension de la formation et de l’évolution des systèmes planétaires. Cette découverte a été réalisée en utilisant l’instrument NACO (Nasmyth Adaptive Optics System), contraction de NAOS-CONICA, qui fut le premier à être équipé d’une optique adaptative sur le VLT. L’instrument a été développé par des consortiums français et allemands avec la collaboration de l’ESO. C’est le premier d’une série d’instruments équipés d’optiques adaptatives installés progressivement sur les quatre unités du VLT. NAOS-CONICA a également permis de produire le tout premier spectre d’une exoplanète observée directement, permettant l’étude de son atmosphère.

Cette image acquise par le VLT de l’ESO montre la planète nouvellement découverte HD 95 086 b, à proximité de son étoile hôte.
Les observations ont été effectuées au moyen de NACO, un instrument d’optique adaptative du VLT en lumière infrarouge, et en utilisant la technique d’imagerie différentielle qui augmente le contraste entre la planète et son étoile hôte de brillance élevée. L’étoile a été supprimée de l’image pendant sa conception afin de faire ressortir la faible exoplanète et sa position est indiquée. L’exoplanète apparait en bas à gauche.
Le cercle bleu correspond à la taille de l’orbite de Neptune dans le Système Solaire.
L’étoile HD 95 086 présente des caractéristiques semblables à celles de Beta Pictoris et de HR 8799 autour desquelles sont en orbite des planètes géantes, à des distances comprises entre 8 et 68 unités astronomiques, comme en témoignent divers clichés antérieurs. Toutes ces étoiles sont jeunes, plus massives que le Soleil et entourées d’un disque de débris.
© ESO/J.Rameau

Près d’un millier d’exoplanètes ont été découvertes au moyen de méthodes indirectes – bien souvent basées sur la vitesse radiale ou le transit [1] et de nombreuses autres candidates attendent la confirmation de leur découverte. Une vingtaine d’exoplanètes seulement a fait l’objet d’observations par imagerie directe. Neuf ans après l’obtention de la première image d’une exoplanète par le VLT, le compagnon planétaire de la naine brune 2M1207 (eso0428), la même équipe a photographié le moins massif sans doute de ces objets [2] [3].

"L’imagerie directe de planètes est une technique extrêmement difficile dont la mise en œuvre requiert l’utilisation des instruments les plus pointus, qu’il s’agisse d’instruments au sol ou dans l’espace" précise Julien Rameau (IPAG), premier auteur de l’article faisant état de la découverte. "A ce jour, seules quelques planètes ont été découvertes au moyen de l’observation directe, ce qui transforme chaque découverte en une véritable balise sur le chemin de la compréhension des planètes géantes et de leur mode de formation".

Sur les nouveaux clichés, la probable planète apparaît sous l’aspect d’un point peu lumineux mais net à proximité de l’étoile HD 95 086. Un cliché suivant montre par ailleurs qu’elle s’est lentement déplacée dans le ciel par rapport à l’étoile. Cela signifie que l’objet, désigné sous l’appellation HD 95 086 b, est en orbite autour de l’étoile. Enfin, sa brillance nous informe sur sa masse estimée : quatre à cinq fois seulement celle de Jupiter.

L’équipe a utilisé NACO, l’instrument d’optique adaptative installé sur l’un des quatre télescopes de 8,2 mètres du VLT de l’ESO. Cet instrument permet aux astronomes de s’affranchir de la quasi-totalité des effets de flou causés par l’atmosphère et d’obtenir des images dotées d’une très grande résolution. Les observations ont été effectuées en lumière infrarouge au moyen d’une technique d’imagerie différentielle qui augmente le contraste entre la planète et l’étoile hôte de brillance élevée.

La planète nouvellement découverte est en orbite autour de la jeune étoile HD 95 086 à une distance correspondant à environ 56 fois la distance Terre-Soleil ou deux fois la distance Neptune-Soleil. L’étoile en elle-même est légèrement plus massive que le Soleil et est entourée d’un disque de débris. Ces propriétés ont permis aux astronomes de l’identifier comme candidate idéale pour abriter de jeunes planètes massives. Le système se situe à environ 300 années-lumière de la Terre.

La jeunesse de cette étoile, âgée de 10 à 17 millions d’années seulement, conduit les astronomes à penser que cette nouvelle planète s’est probablement formée au sein du disque de gaz et de poussière qui entoure l’étoile. "Sa position actuelle soulève des questions relatives à son processus de formation. Il est possible qu’elle se soit constituée à partir de l’agrégation de roches qui composent un noyau solide à la surface duquel se sont lentement accumulés les gaz environnants au point de former une atmosphère épaisse ; il est également possible qu’elle se soit constituée à partir d’un amas de gaz né d’instabilités gravitationnelles dans le disque" nous explique Anne-Marie Lagrange, autre membre de l’équipe. "Les interactions entre la planète et le disque lui-même ou avec d’autres planètes ont également pu contribuer au déplacement de la planète de son lieu de naissance".

Gaël Chauvin, un autre membre de l’équipe, conclut ainsi : "La brillance des étoiles nous permet d’estimer la température de surface de HD 95 086 b à environ 700 degrés Celsius. C’est suffisamment frais pour que de la vapeur d’eau et peut-être du méthane soient présents dans l’atmosphère. Ce sera un objet très intéressant à étudier avec l’instrument SPHERE qui bientôt équipera le VLT. Peut-être révèlera-t-il l’existence de planètes internes dans le système – s’il y en a." [4]

Source :
Discovery of a probable 4-5 Jupiter-mass exoplanet to HD95086 by direct-imaging : à paraître dans la revue Astrophysical Journal Letters.
J. Rameau (IPAG - Institut de Planetologie et d’Astrophysique de Grenoble, France), G. Chauvin (IPAG), A.-M. Lagrange (IPAG), A. Boccaletti (Observatoire de Paris, France ; Université Pierre et Marie Curie Paris 6 et Université Denis Diderot Paris 7, Meudon, France), S. P. Quanz (Institut d’Astronomie, ETH Zurich, Suisse), M. Bonnefoy (Institut Max Planck pour l’Astronomie, Heidelberg, Allemagne [MPIA]), J. H. Girard (ESO, Santiago, Chili), P. Delorme (IPAG), S. Desidera (INAF–Observatoire Astronomique de Padoue, Italie), H. Klahr (MPIA), C. Mordasini (MPIA), C. Dumas (ESO, Santiago, Chili), M. Bonavita (INAF–Observatoire Astronomique de Padoue, Italie), Tiffany Meshkat (Observatoire de Leiden, Pays-Bas), Vanessa Bailey (Université d’Arizona, USA), et Matthew Kenworthy (Observatoire de Leiden, Pays-Bas).
Lire cet article.

Cette actualité est également relayée par :
 l’Observatoire européen austral (ESO)
 le CNRS

Contacts scientifiques :
 Gaël Chauvin, IPAG-OSUG : 04 76 63 58 86 (sauf le 7/06) | gael.chauvin obs.ujf-grenoble.fr
 Julien Rameau, IPAG-OSUG : julien.rameau obs.ujf-grenoble.fr | 04 76 63 57 30 (à partir du 10/06)
 Anne-Marie Lagrange, IPAG-OSUG : anne-marie.lagrange obs.ujf-grenoble.fr | 04 76 51 42 03 (à partir du 10/06)

[1Les astronomes ont déjà confirmé l’existence d’un millier de planètes en orbite autour d’étoiles autres que le Soleil. La plupart d’entre elles ont été découvertes au moyen de méthodes indirectes capables de détecter les effets des planètes sur leurs étoiles hôtes – les chutes de luminosité causées par le passage de planètes devant leurs étoiles hôtes (méthode des transits), ou l’oscillation de vitesse résultant de l’attraction gravitationnelle des planètes en orbite (méthode de la vitesse radiale). A ce jour, seule une vingtaine d’exoplanètes a fait l’objet d’observations directes.

[2Il est possible que Fomalhaut b ait une plus faible masse, mais sa luminosité semble être affectée par la réflexion de la lumière par la poussière environnante, ce qui rend la détermination de sa masse incertaine.

[3Cette équipe a également observé une exoplanète en orbite autour de l’étoile Beta Pictoris (eso1024), ainsi que quelques autres.

[4SPHERE fait partie de la seconde génération d’instruments d’optique adaptative et sera installé sur le VLT fin 2013.

Mis à jour le 23 octobre 2018