Y aurait-il un mécanisme universel d’altération en milieu aqueux ?

Les verres sont considérés comme des matériaux durs, mais ils deviennent instables en présence de l’eau. L’altération chimique des verres silicatés dans les régions volcaniques et en particulier aux dorsales océaniques, joue un rôle primordial dans la composition chimique des océans et la régulation du climat terrestre. Une étude publiée récemment dans la revue Nature Materials, issue d’une collaboration entre plusieurs laboratoires* du CNRS, des universités françaises de Grenoble, Rouen, Aix-Marseille Université, des Pays-Bas et du Royaume Uni, met en lumière un nouveau mécanisme de corrosion des verres. Ce travail est fondé sur une étude détaillée à l’échelle nanométrique de la couche d’altération qui se forme à la surface des verres au contact avec de l’eau. Ce mécanisme, déjà observé pour des minéraux serait-il universel en milieu aqueux ?

Reconstruction en trois dimensions par sonde atomique (APT) d’un verre altéré pendant 1 mois
chaque point représente un atome (rouge = bore ; orange = calcium). L’interface entre la couche de surface dépourvue en bore et en calcium et le verre sain est très abrupte, ce qui soutient le nouveau mécanisme « dissolution-reprécipitation interfaciale ». A droite, image d’un échantillon avant analyse par APT.
Source : E. Cadel, GPM

Une couche d’altération sous forme de gel

La couche d’altération, souvent appelée gel, est le lieu où se produisent les échanges de matière et d’énergie entre le verre et le milieu environnant. Elle est poreuse et principalement composée de silice amorphe ; son épaisseur varie de quelques nm au µm, selon la composition du verre et les conditions d’altération. Comprendre comment la couche de gel se développe lors de l’altération permet de mieux prédire et modéliser le comportement du verre en termes de sa durabilité, de sa cinétique de dissolution, et de sa capacité à retenir ou à piéger à la fois des éléments issus du verre non-altéré et des espèces (métaux, éléments trace, polluants) présents dans le milieu environnant. Ceci a des implications importantes pour le cycle des éléments de la croûte océanique au contact de l’eau de mer, la consommation par ces réactions de dioxyde de carbone dissout dans cette eau, et également pour la fiabilité du piégeage des radionucléides dans les verres nucléaires enterrés dans des sites de stockage géologique.

Comment cette couche de silice amorphe se forme-t-elle ?

C’est la question fondamentale posée par cette étude. L’hypothèse communément admise depuis quelques décennies est la formation d’une zone altérée amorphe par le départ préférentiel des éléments ne constituant pas la structure du verre (principalement les alcalins : Li, Na, K, Rb, Cs ; et les alcalino-terreux : Mg, Ca), couplé à l’incorporation des espèces d’hydrogène venant de la solution. Ceci donne lieu à la formation d’une zone altérée amorphe qui représente une structure vestige entre le fluide et le verre sain, mais qui reste connectée au verre par des liaisons covalentes. Les profils chimiques réalisés jusqu’à présent à travers cette zone altérée avec une résolution micrométrique ont toujours été interprétés comme le résultat d’une interdiffusion (diffusion d’éléments du verre vers l’eau, et de l’eau vers le verre).

A la différence des études antérieures, les auteurs ont utilisé une combinaison unique de méthodes analytiques avancées permettant des mesures de la structure et de la chimie de la couche altérée avec une résolution spatiale sub-nanométrique (par microscopie à transmission électronique seule ou couplée aux énergies filtrées, et par sonde atomique) et une résolution en masse très élevée (par ToF- et nanoSIMS, deux méthodes de spectrométrie de masse). Leurs mesures ont révélé des interfaces chimiques et structurales abruptes coïncidant spatialement et qui définissent la transition entre le gel et le verre. Une telle observation est incompatible avec un processus diffusif et demande une autre explication : la dissolution-reprécipitation interfaciale. Ce mécanisme postule que l’étape de dissolution, où tous les éléments du verre sont relâchés en même temps, est concomitante dans l’espace et dans le temps avec la reprécipitation à la surface du verre de silice amorphe. On pense que ces réactions couplées se produisent dans un film fluide très mince (estimé à 2-3 couches d’eau) qui se trouve à l’interface. Les propriétés physico-chimiques de cette solution locale sont assez différentes de celles de la solution globale (souvent appelé le ‘bulk solution’).

* Liste des laboratoires impliqués
 ISTerre (CNRS/UJF/IRD/IFSTTAR/UdS), Grenoble
 GPM (CNRS, Université de Rouen, INSA), Saint Etienne du Rouvray
 Kavli Institute of Nanoscience Delft (Delft University of Technology) Pays Bas
 Department of Materials (Oxford University) Royaume Uni
 CP2M (Aix-Marseille Université) Marseille,
 IRCP (Chimie ParisTech,/CNRS) Paris


Les chercheurs note que cette nano-caractérisation du gel, et surtout de l’interface entre le gel et le verre effectuée pour la première fois, a donné des résultats très proches de ceux obtenus antérieurement sur des minéraux silicatés altérés au laboratoire et dans la nature. Ce résultat complètement inattendu suggère l’existence d’un mécanisme universel d’altération en milieu aqueux.







Contact scientifique local Roland Hellmann, ISTerre-OSUG : roland.hellmann |a| ujf-grenoble.fr, 04 76 63 51 89

Cette actualité est également relayée par
 l’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU (source)
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Référence
R. Hellmann, S. Cotte, E. Cadel, S. Malladi, L.S. Karlsson, S. Lozano-Perez, M. Cabié, A. Seyeux, Nanometre-scale evidence for interfacial dissolution-reprecipitation control of silicate glass dissolution. Nature Materials (2015) 14.

Mis à jour le 29 janvier 2015