A la recherche du temps perdu

5 mois - 1er semestre 2024

La définition de la limite Aptien-Albien (LA-A) pose problème depuis des décennies aux paléontologues et sédimentologues. En effet, l’enregistrement de cette période est discontinu, et un laps de temps n’est donc pas enregistré. La limite était traditionnellement définie par le changement de faunes d’ammonites. Plus récemment, une limite a été proposée sur la base de l’évolution ténue de foraminifères planctoniques nains (Kennedy et al., 2000). Cette dernière limite est cependant difficile à utiliser car ces microfaunes sont difficiles à déterminer, et elle ne correspond ni à un changement de la macro-faune, ni à une rupture lithologique ou sédimentaire. La série est en effet généralement représentée par une succession de marnes, parfois entrecoupée d’intervalles métriques d’argilites noires, riches en matière organique, comme le Niveau Kilian (Sud-Est de la France), actuellement défini comme la LA-A (Kennedy et al., 2017). Le Niveau Kilian enregistre une excursion négative de 1‰ du δ13C, repérable sur l’ensemble du domaine atlantique, suivi à l’Albien inférieur par un événement anoxique enregistré à l’échelle globale (Oceanic Anoxic Event (OAE) 1b, Bracquart et al., 2022). Certains auteurs considèrent que le Niveau Kilian, pourrait représenter le début, dès l’Aptien terminal, de l’OAE 1b.
En Tunisie centrale, l’intervalle Aptien-Albien inférieur est bien développé, et l’émersion de la plate-forme aptienne, suivie d’une transgression à l’Albien basal, est considéré comme la LA-A (Chihaoui et al., 2010). Une coupe a été étudiée vers le Nord (Jebel Oust), c’est-à-dire vers le bassin téthysien, moins susceptible d’avoir émergé, et où l’enregistrement sédimentaire est donc plus continu. La série marneuse y a été étudiée et échantillonnée pour les ammonites, les microfossiles et les analyses géochimiques.
Le travail proposé consistera en l’étude de la succession bio-stratigraphique, des assemblages de nannofossiles calcaires (observations au microscope optique et électronique), et de la géochimie (CaCO3 et δ13C) sur une cinquantaine d’échantillons collectés de part et d’autre de la LA-A déterminée par les ammonites (voir Latil, 2011). Il s’agira de démontrer si l’enregistrement sédimentaire de la LA-A est continu en Tunisie, et si l’excursion négative du δ13C est enregistrée. L’étude des assemblages de nannofossiles permettra de mieux contraindre les conditions paléo-environnementales. In fine, cette étude pourrait mettre en lumière le potentiel des coupes tunisiennes pour des études ultérieures de l’intervalle Aptien-Albien dans un cadre stratigraphique précisément daté, condition sine qua non à la compréhension des perturbations paléo-environnementales comme celle enregistrée à la LA-A.

Références
Bracquart et al., 2022. Global and Planetary Change 218, 103959.
Chiahoui et al., 2010. Journal of African Earth Sciences 58, 387-399.
Kennedy et al., 2000. Cretaceous Research 21, 591–720.
Kennedy et al., 2017. Episodes 40 (3), 177-188.
Latil, 2011. Revue de Paléobiologie, Genève 30, 321-429.