Une campagne géophysique en Albanie pour décrypter la production d’hydrogène naturel

Vue sur l’ophiolite de Bulqizë depuis Gur i Bardhë. Zone de déploiement des 218 capteurs sismiques sur 900 km². Crédit : F-V. Donzé.
Entre juin et octobre 2025, une équipe de l’institut des sciences de la Terre (ISTerre-OSUG, CNRS / IRD / UGA / Univ. Savoie Mont-Blanc / Univ. Gustave Eiffel) a mené en Albanie une vaste campagne géophysique consacrée à l’hydrogène naturel. Pendant quatre mois, les chercheurs ont investi l’ophiolite de Bulqizë, l’un des sites les plus prometteurs d’Europe, pour en dévoiler la structure profonde et comprendre les mécanismes géologiques à l’origine de ce gaz encore méconnu.

Comprendre un système naturel complexe

L’ambition de la mission était de produire une image fine du sous-sol de Bulqizë grâce à un ensemble de techniques complémentaires : sismique passive, magnétotellurique, gravimétrie et magnétométrie. Cette approche intégrée doit révéler la profondeur du massif, ses hétérogénéités internes, les zones de serpentinisation et les réseaux de fractures susceptibles de guider la circulation de l’hydrogène.

Bulqizë s’impose comme un terrain d’étude remarquable. L’hydrogène y est observé sur près de 1 000 mètres de profondeur dans la mine locale, faisant de ce site un véritable laboratoire naturel. Les recherches menées par ISTerre depuis cinq ans, une vingtaine de publications, dont un article dans Science, ont déjà mis en évidence plusieurs caractéristiques uniques. La campagne 2025 vient consolider ces travaux et contribuer à la mise en place d’un “workflow d’exploration” applicable à d’autres régions du monde.

Maureen Gunia et Laurent Truche devant un affleurement de la zone de cisaillement basale de l’ophiolite de Bulqizë, montrant mélange tectonique et serpentinites fracturées. Crédit : I. Rexhepi.

Bulqizë, un terrain d’enquête unique en Europe

L’ophiolite albanaise offre une occasion rare d’observer la serpentinisation en action, un processus clé dans la production d’hydrogène naturel. Documenter ce système dans toute sa complexité est indispensable pour distinguer les zones actives des zones fossiles, identifier les fractures réservoirs potentielles et mieux comprendre les voies de circulation des fluides du sous-sol.

Les études géochimiques récentes ont déjà révélé la richesse du site. Le volet géophysique, quant à lui, permet d’explorer ce qui se joue en profondeur et de confirmer les hypothèses proposées par les équipes au cours des dernières années.

Des défis logistiques permanents

Travailler dans les montagnes de Bulqizë a demandé une organisation millimétrée. Transporter 1,5 tonne de matériel, naviguer entre procédures douanières, gérer une flotte de cinq véhicules et coordonner dix personnes sur des terrains escarpés s’est révélé particulièrement exigeant. Certaines zones restaient inaccessibles, obligeant à revoir quotidiennement les plans de déploiement.

Les conditions météorologiques ont compliqué davantage la mission : canicule et orages lors de l’installation, puis cinq jours de pluie continue au moment de récupérer les instruments, avec des pistes effondrées et des rivières soudaines. Malgré ces obstacles, l’ensemble des données a pu être récupéré.

Anaïs Lavoué (cheffe de mission,), enregistre la position GPS du node #402 près du point culminant de l’ophiolite de Bulqizë. Unités sédimentaires en arrière-plan. Crédit : L. Truche.
L’équipe franco-albanaise sort des galeries profondes de la mine de Bulqizë (plus de 1000 m). Bardhyl Muceku et Anaïs Lavoué, prennent l’air après cinq heures sous terre. Crédit : L. Truche.

Une coopération internationale solide

Cette campagne n’aurait pas été possible sans un réseau de partenaires étroitement impliqués. Aux côtés d’ISTerre, l’Université d’Helsinki, l’Université Polytechnique de Tirana (UPT) et l’Institute of Geosciences of Albania (IGEO) ont contribué à chaque étape.

Les équipes albanaises ont joué un rôle déterminant : mise à disposition de véhicules, aide pour installer les capteurs auprès des habitants, appui dans les zones les plus difficiles d’accès. Leur connaissance du terrain a permis de surmonter de nombreux obstacles logistiques. L’apport matériel de l’Université d’Helsinki, ainsi que le soutien d’EPOS France et de l’OSUG via le projet H2Explor, ont également été essentiels.

Un ensemble de données inédit

À l’issue de la mission, 199 capteurs sismiques courts-périodes, 19 stations large bande et 64 points de gravimétrie ont été installés et récupérés. Ces enregistrements permettront d’établir un modèle de vitesse sismique par tomographie de bruit ambiant, de localiser une éventuelle sismicité liée à la serpentinisation, de construire un modèle Vp/Vs par tomographie locale et d’estimer les variations de densité grâce aux mesures gravimétriques.

Le travail d’analyse débute à peine et représente une étape cruciale de la recherche.

Prochaines étapes

Dans les mois à venir, une campagne de magnétométrie viendra compléter l’ensemble. Cette nouvelle phase permettra d’identifier les zones potentiellement riches en magnétite, un marqueur important de serpentinisation active. L’objectif final est de produire une image multiphysique intégrée de l’ophiolite de Bulqizë, afin de mieux caractériser les conditions favorables à la production et au stockage d’hydrogène naturel.


Pour aller plus loin

🎥 Vidéo : Découverte d’un important réservoir d’hydrogène en Albanie

▶️ Reportage YouTube

Contact scientifique local

 Laurent Truche, Professeur Université Grenoble Alpes – laboratoire ISTerre

Mis à jour le 2 décembre 2025