En matière d’érosion de massifs montagneux, la densité des roches importe plus que leur dureté

communiqué diffusé le 10 juin 2014, par l’UJF

Une équipe internationale, menée par un chercheur de l’ISTerre, spécialiste des phénomènes d’érosion viennent de montrer dans une publication parue dans la revue Nature Géoscience que pour des massifs de plusieurs dizaines de kilomètres la densité de la roche à éroder importe plus que sa dureté. Conclusion contraire à l’intuition. L’isostasie liée à l’élasticité de la lithosphère joue un rôle important dans la dynamique d’érosion de tels massifs.

A l’exemple des Henry Mountains de l’ouest américain, de nombreuses intrusions magmatiques (roches plunotiques) forment des reliefs élevés par rapport aux roches sédimentaires avoisinantes. Cette observation se généralise à de nombreuses situations où existe un contraste lithologique majeur (roches métamorphiques juxtaposées à des roches sédimentaires, par exemple). La thermochronologie[1] a montré que ces régions de haute topographie sont souvent celles où l’érosion est la plus rapide, un constat en conflit direct avec l’explication communément acceptée que ces intrusions forment des reliefs importants parce qu’elles sont plus résistantes à l’érosion. C’est en étudiant les sommets des Cascades dans l’Ouest américain et ceux de Patagonie que les auteurs ont mis en avant cette contradiction. Pour la résoudre, ils ont proposé une explication qui découle du principe d’isostasie : c’est parce que ces roches sont denses qu’elles forment des reliefs élevés, et non parce qu’elles sont « dures ». Ce résultat est a priori assez déroutant, car nous avons l’habitude de penser que ce qui est léger doit se trouver plus haut que ce qui est lourd.

Le principe d’isostasie, que l’on peut comparer au principe d’Archimède,est bien connu de la majorité des géologues et géophysiciens. Selon ce principe, la lithosphère « flotte » sur une zone de viscosité faible (l’asthénosphère) où les différences de pression ne peuvent être maintenues sur des échelles de temps géologiques (au plus, quelques dizaines de milliers d’années). Pour un iceberg flottant à la surface de l’océan, le rapport entre hauteur de glace émergée et hauteur de glacé immergée reste constant : si l’iceberg se met à fondre, la surface de l’iceberg rebondit. Il en est de même pour les reliefs à la surface de la Terre. L’érosion d’un kilomètre de roches mène à un rebond dit « isostatique » de 600 à 700 mètres.

Photo aérienne des « Henry Mountains » dans l’ouest américain
Ce sont de grandes intrusions magmatiques (ou laccolithes) qui se sont mises en place dans des roches sédimentaires à plusieurs kilomètres de profondeur. Suite à l’érosion, elles se retrouvent aujourd’hui à la surface et forment des reliefs importants par rapport aux roches sédimentaires avoisinantes.
© J. Braun et al. 2014
Résultat d’un modèle d’érosion fluviatile couplé à un modèle isostatique montrant qu’un relief important peut être généré par l’exhumation d’un corps de densité élevée
© J. Braun et al. 2014

Dans cette étude les auteurs ont montré que ce qui détermine le rapport entre la quantité érodée et le changement net de topographie ne dépend, suivant le principe d’isostasie que du rapport de densité entre les roches de surface (érodées), et celle de l’asthénosphère. Il faut noter que la différence entre ces deux densités est du même ordre de grandeur que la variabilité de la densité des roches de surface. Ainsi les roches plutoniques formant les Henry Mountains ont une densité de 2600 kg/m3 et les sédiments avoisinants une densité de 2200 kg/m3. Cette différence est la même que celle entre la densité des roches plutoniques de surface et celle de l’asthénosphère (3200 kg/m3). Si bien que l’érosion des roches denses cause un rebond isostatique deux fois plus important que celui des roches sédimentaires, expliquant pourquoi celles-ci se retrouvent en contre-bas. La pente créée par cette différence d’élévation entre l’intrusion et son encaissant mène à son érosion préférentielle et à un rebond encore plus important, expliquant pourquoi les zones élevées et denses des reliefs terrestres sont souvent celles qui s’érodent le plus vite, malgré leur résistance apparente à l’érosion. C’est ce qu’illustrent les simulations numériques.

Les auteurs ont également démontré que cette amplification du rebond isostatique des roches denses ne peut être observée que pour des objets de taille importante (de plusieurs dizaines de kilomètres de rayon) en raison de la rigidité de la lithosphère (rigidité flexurale). Ces travaux ont ainsi mis en évidence un mécanisme majeur de création de relief négligé jusque là, aux conséquences importantes pour la compréhension de la formation et de l’évolution des reliefs terrestres, ou ceux formés sur toute planète où le principe d’isostasie s’applique.

[1] Thermochronologie : La thermochronologie nous permet de déterminer l’âge d’une roche lorsque celle-ci se refroidit en dessous d’une température dite de fermeture. Cette température varie d’un système thermochronoogique à l’autre et, dans certains cas, peut être très basse, de l’ordre de 50 à 75 °C. Dans ces conditions nous pouvons estimer la vitesse à laquelle les roches refroidissent lorsqu’elles remontent à la surface en réponse aux processus d’érosion et, par conséquent, la vitesse d’érosion.

Contact scientifique local
 Jean Braun, ISTerre-OSUG : jean.braun |a| ujf-grenoble.fr, 04 76 51 40 74

Cette actualité est également relayée par
 l’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU (source)
 l’Université Joseph Fourier - UJF
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Référence
Topographic relief driven by variations in surface rock density, Jean Braun1, Thibaud Simon-Labric1,2, Kendra E. Murray3 and PeterW. Reiners3 - NATURE GEOSCIENCE, Publié en ligne le 1 juin 2014 DOI:10.1038/NGEO2171. Lire l’article (en anglais)

1 ISTerre - Institut des Sciences de la Terre, Université Grenoble-Alpes, France
2 Institute of Earth Surface Dynamics, University of Lausanne, Suisse
3 Department of Geosciences, University of Arizona, USA.

Mis à jour le 16 juin 2014