De la glace de plus de 1,5 million d’années localisée en Antarctique de l’Est près de la station Concordia

Le dérèglement climatique actuel est un problème sociétal majeur et nécessite une bonne compréhension des mécanismes climatiques. Le système climatique est cependant très complexe, comportant une diversité de mécanismes physiques, chimiques et biologiques à des échelles de temps et d’espace variées. En reconstruisant les variations climatiques passées grâce à diverses archives naturelles, les paléoclimatologues mettent à disposition un jeu d’expériences climatiques variées.

La neige sédimentant en surface des calottes polaires forme une archive de premier plan, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, son épaisseur de plusieurs kilomètres permet d’obtenir une résolution temporelle remarquable. Ensuite, elle n’est que peu perturbée par des processus biologiques toujours difficiles à quantifier. Enfin, elle renferme des bulles d’air qui sont des échantillons quasiment intacts des atmosphères passées. La glace la plus ancienne forée est vieille de 800 000 ans et est issue du forage EPICA Dome C, près de la base franco-italienne Concordia en Antarctique de l’Est. Elle permet de couvrir les grands cycles glaciaire-interglaciaire d’une période d’environ 100 000 ans.
Au-delà d’environ 1 million d’années, d’autres archives paléoclimatiques, notamment les sédiments océaniques, indiquent que les cycles climatiques étaient d’amplitude moindre, avec une période d’environ 40 000 ans. Quelle est l’origine de cette transition climatique ? Quel rôle les gaz à effet de serre, et notamment le CO2, y ont-ils joué ? Ce sont les questions que se pose la communauté de paléoclimatologie. Une carotte de glace remontant continûment à 1.5 million d’années pourrait y répondre.
Encore faut-il localiser un site avec une telle glace ancienne en Antarctique. C’est la tâche que s’est fixée une équipe internationale emmenée par un chercheur de l’Institut des géosciences de l’environnement. Elle a analysé des profils radar qui permettent de sonder la calotte polaire et d’observer des surfaces d’un âge donné, appelées isochrones, jusqu’à 80 % de la profondeur. Avec un modèle simplifié de calotte polaire, ils ont ensuite extrapolé les observations radar jusqu’au fond. Ils ont ainsi déterminé deux zones abritant potentiellement de la glace ancienne : à 40 km au sud-ouest de Concordia, proche d’un dôme secondaire (le petit Dôme C) ; à 20 km au nord-est de Concordia (la "zone Nord").
Cette découverte devrait donner du travail aux glaciologues européens pour la décennie à venir. Il faudra tout d’abord forer cette glace avec un dispositif destructif rapide pour vérifier l’âge de la glace basale. Ensuite, si l’âge est confirmé, viendra l’heure du forage non destructif. Enfin, il faudra rapatrier la glace en Europe et l’analyser. Les années à venir s’annoncent palpitantes pour cette science des carottes de glace !
Ce travail a été rendu possible grâce à des financements de l’Université Grenoble-Alpes (projet AGIR "OldestIce"), du CNRS (projets INSU/LEFE "IceChrono" et "CO2Role"), de la fondation Ars Cuttoli (projet "la relation CO2 / température") de l’IPEV (programme "glaciologie CONCORDIA") et de l’Europe (projet H2020 "Beyond EPICA Oldest Ice").
Source
Is there 1.5-million-year-old ice near Dome C, Antarctica ? Frédéric Parrenin, Marie G. P. Cavitte, Donald D. Blankenship, Jérôme Chappellaz, Hubertus Fischer, Olivier Gagliardini, Valérie Masson-Delmotte, Olivier Passalacqua, Catherine Ritz, Jason Roberts, Martin J. Siegert, and Duncan A. Young, The Cryosphere, 11, 2427–2437, 2017. DOI : 10.5194/tc-11-2427-2017
Contact scientifique local
– Frédéric Parrenin, IGE/OSUG, frédéric.parrenin[at]univ-grenoble-alpes.fr, 04 76 82 42 65
Cette actualité est également relayée par
– l’institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)
Mis à jour le 18 juillet 2018