Penser et évaluer les multiples contributions de la nature aux sociétés

Village du Haut Atlas, Massif du Toupkal, où les hommes, l’agriculture et les troupeaux sont entièrement dépendant et se fondent dans le paysage
Crédit : Yildiz Aumeeruddy-Thomas
La dégradation de la biodiversité et des écosystèmes remet en cause le bien-être des sociétés. La revue Science publie un article signé par 30 experts du monde entier de l’IPBES, afin de promulguer un nouveau concept d’évaluation, les contributions de la nature aux sociétés, fondé sur la pluralité des savoirs et des valeurs. Ce concept considère la nature, non pas comme un service, mais comme un lien à nourrir entre les hommes et la nature. L’IPBES, Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémique, a pour rôle d’informer ses 128 pays membres sur l’état de la nature (de même que le GIEC pour le climat), en vue de penser des politiques globales et régionales appropriées. Parmi les signataires de cette publication, figurent trois chercheurs français dont Sandra Lavorel, écologue au CNRS, spécialiste des interrelations entre climat, usages des sols, biodiversité et services écosystémiques au Laboratoire d’Écologie Alpine (LECA - Université Grenoble Alpes / Université Savoie Mont-Blanc / CNRS)
Médecin Tibétain (amchi) du Népal assis au pied d’un pied de pavot Himalayen (Meconopsis paniculata) d’une grande valeur médicinale pour les populations locales
Crédit : Yildiz Aumeeruddy-Thomas

L’article paru dans la revue Science le 19 Janvier 2018, présente un cadre conceptuel qui développe une vision inclusive, épistémologique (pluridisciplinarité et inclusion de savoirs scientifiques et autres types de savoirs) et ontologique (inclusion de la diversité des modes de représentations de la nature). L’élément clé de ce concept novateur est la notion de « contributions de la nature aux sociétés » incluant 18 catégories distinctes afin d’en faciliter l’évaluation. Ces catégories sont matérielles, telles que la provision de nourriture, de produits médicinaux, immatérielles telles que la contribution de la nature à l’identité ou pour favoriser l’inspiration artistique, ou fonctionnelles tel que le climat ou l’eau. De nombreux liens entre ces catégories existent et sont aussi analysés. Les contributions de la nature aux sociétés peuvent être positives pour certaines et négatives pour d’autres. Par exemple, certains animaux tels que l’éléphant peuvent dévaster les récoltes des agriculteurs mais représentent quasiment des animaux sacrés pour certains peuples pastoralistes nomades et leur présence représente un apport économique important pour l’industrie du tourisme-nature. Les contributions de la nature aux sociétés se situent dans la continuité du concept de services écosystémiques développé par le Millenium Ecosystem Assessment (MEA 2005) qui a eu de nombreux effets positifs.La notion de services a cependant entraîné des approches orientées sur des outils de marché tels que les Paiements pour Services Ecosystémiques, une vision centrée sur des aspects financiers qui a été fortement récriée et qui occulte les diverses conceptualisations et valeurs de la nature existant à travers les sociétés ou pouvant varier entre groupes d’acteurs au sein d’une même société. Le concept proposé dans cet article se départit de l’idée de service et considère la nature comme un lien à renforcer avec les sociétés.

Le concept de contributions de la nature aux sociétés tel que présenté dans cet article intègre les complexités bio-physiques et sociales en intégrant et en créant des synergies entre savoirs scientifiques, des sciences de la nature aux sciences humaines et sociales, et d’autres savoirs telles que les savoirs locaux et autochtones, tout en reconnaissant que les différents groupes en présence ont des visions et des représentations du monde très variées. Alors que les approches scientifiques dissocient l’Homme de la Nature, les savoirs locaux et autochtones situent le plus souvent les hommes comme un élément intégral de la nature, élaborant les relations entre Homme et Nature selon des relations de réciprocité et ou d’obligations allant jusqu’à l’intégration des non-humains comme des parents au sein d’une même généalogie.

Jeune garçon portant un poisson sur la plage de Sainte-Marie, près de Fort Dauphin, Sud-Est de Madagascar
Crédit : Pierre Failler

Ainsi ce concept envisage conjointement des perspectives généralistes dont celles de la science et des perspectives qui ne sont valides que dans des contextes spécifiques, reconnaissant ainsi les multiples formes et catégories des relations entre les sociétés et la nature.

Ce concept espère influencer le dialogue entre science et politique de façon à promouvoir une gouvernance environnementale associée à des politiques efficaces prenant en compte à la fois des contextes globaux et des situations spécifiques, et contribuer ainsi aux objectifs des Nations Unies pour le Développement Durable et à la Convention pour la Diversité Biologique.


Source

An inclusive approach to assess nature’s contributions to people, Diaz, S., Pascual, U., Stenseke, M., Martín-López, B., Watson, R.T., Molnár, Z., Hill, R., Chan, K.M.A., Baste, I.A., Brauman, K.A., Polasky, S., Church, A., Lonsdale, M., Larigauderie, A., Leadley, P.W., van Oudenhoven, A.P.E., van der Plaat, F., Schröter, M., Lavorel, S., Aumeeruddy-Thomas, Y., Bukvareva, E., Davies, K., Demissew, S., Erpul, G., Failler, P., Guerra, C.A., Hewitt, C.L., Keune, H., Lindley, S. & Shirayama, Y., Science, in press, (2018)

Contact scientifique local

 Sandra Lavorel , LECA/OSUG (CNRS/UGA/USMB) sandra.lavorel[at]univ-grenoble-alpes.fr, 04 76 63 56 61

Cet article a été publié par

 l’institut écologie et environnement du CNRS (INEE)
 l’Université Grenoble Alpes (UGA)

► Le texte intégral de l’article peut être consulté gratuitement sur le site Web de l’IPBES.

Mis à jour le 18 juillet 2018