Trois fois plus de pluies extrêmes au Sahel en 35 ans : le réchauffement du Sahara mis en cause

De nombreux travaux suggèrent que le réchauffement atmosphérique global s’accompagne d’une intensification du cycle de l’eau, conduisant à plus d’événements hydro-météorologiques extrêmes. Une évolution à la hausse des pluies extrêmes a déjà été constatée dans de nombreuses régions du monde, en particulier dans les zones tempérées. En revanche, l’évolution des régimes de précipitation dans les régions tropicales reste encore mal connue du fait du faible nombre d’observations de long terme et de la difficulté des modèles de climat à retranscrire les processus de convection qui génèrent les pluies dans ces régions.
Tendances (significatives à 5 %) sur la fréquence des SCM intenses (température infrarouge de sommet de nuage inférieure à -70°C à 18h00 UTC). Les tendances sont exprimées en pourcentage de changement par décade, par rapport à la moyenne sur les 35 ans de données (contours).
Des hydrométéorologues, atmosphériciens et climatologues de laboratoires anglais et français [1], réunis au sein du projet AMMA-2050, se sont intéressés à un type particulier de systèmes orageux appelés systèmes convectifs de méso-échelle (SCM).
L’étude se focalise sur l’Afrique de l’Ouest où les SCM apportent la grande majorité des précipitations et sont parmi les plus intenses observés sur la planète. Les données des satellites géostationnaires qui couvrent l’Afrique depuis 1982 et les mesures pluviométriques in situ ont révélé une augmentation constante des SCM les plus intenses au Sahel et des extrêmes pluviométriques journaliers associés.
Cette tendance reste limitée à la bande sahélienne (entre les latitudes 11°N et 18°N) sur la période de juillet à septembre, et touche également la côte guinéenne au printemps. Elle est fortement corrélée à la courbe du réchauffement atmosphérique global. Pour autant, la température n’a pas augmenté au Sahel durant les mois de mousson, écartant l’hypothèse courante d’effets d’un réchauffement atmosphérique local dans l’intensification des pluies. Les observations de vapeur d’eau par Global positioning system (GPS) indiquent d’ailleurs que les SCM les plus intenses ne se développent pas dans un environnement plus humide. C’est en fait au Sahara que les chercheurs ont trouvé les raisons de l’intensification des pluies extrêmes au Sahel.


Réchauffement moyen simulé sur la période historique (1976-2005) par les modèles climatiques sur les mois de mousson - juin à septembre (simulations CMIP5).
Avec le réchauffement global, la température moyenne du Sahara a augmenté plus que sur toutes les régions alentour, accentuant le gradient méridional de température sur la région sahélienne. L’augmentation de ce gradient induit une intensification du cisaillement de vent qui favorise le développement de SCM intenses, capables de générer en l’espace de quelques heures seulement une forte convergence d’humidité. Ces facteurs s’accompagnent de pluies violentes et expliquent la tendance observée sur les extrêmes pluviométriques. Si les modèles de climat ne reproduisent pas les tendances observées sur les pluies de mousson, ils simulent en revanche l’augmentation du gradient thermique méridional et projettent une accentuation de ce gradient au cours du XXIe siècle. Il semble donc probable que l’augmentation de la fréquence des pluies extrêmes au Sahel se poursuive dans le futur.

Ces travaux soulignent l’intérêt de combiner mesures au sol, données satellite et résultats des simulations climatiques pour mener des études de détection, voire d’attribution, dans le contexte du changement climatique. Les résultats fournissent de nouvelles clefs pour mieux évaluer et améliorer les simulations climatiques dans les tropiques, et en particulier sur l’Afrique de l’Ouest. Ils apportent également des indications précieuses pour mieux analyser l’impact du changement climatique sur les sociétés ouest-africaines et définir des stratégies d’adaptation adéquates.
Source
Ce travail de recherche a fait l’objet d’un article intitulé Frequency of extreme Sahelian storms tripled since 1982 in satellite observations>, Christopher Taylor, Danijel Belušić, Françoise Guichard, Douglas J. Parker, Théo Vischel, Olivier Bock, Philip P. Harris, Serge Janicot, Cornelia Klein, Gérémy Panthou, Nature,doi:10.1038/nature22069, Version en ligne publique
Contact scientifique local
– Théo Vischel, IGE/OSUG, +33 (0)4 56 52 09 99, theo.vischel univ-grenoble-alpes.fr
Cette actualité est également relayée par
– l’institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)
– l’institut de recherche pour le développement (IRD)
[1] Les laboratoires français impliqués sont le Centre national de recherches météorologiques (CNRM, CNRS / Météo-France), l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE/OSUG, CNRS / IRD / UGA / INPG), le laboratoire de recherché en géodésie (LAREG, IGN / Université Paris Diderot / Sorbonne Paris Cité) et le Laboratoire d’océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (LOCEAN/IPSL, UPMC / CNRS / MNHN / IRD).
Mis à jour le 18 juillet 2018