Utiliser Tillandsia capillaris comme bio-indicateur de la qualité de l’air en Amérique latine ?

Des chercheurs d’une collaboration internationale [1], comprenant des chercheurs du laboratoire Géosciences environnement Toulouse (GET/OMP, UPS / IRD / CNRS / CNES), du Laboratoire d’études des transferts en hydrologie et environnement (LTHE/OSUG, Université Grenoble Alpes / CNRS / INPG / IRD), de l’Institut des sciences de la Terre (ISTerre/OSUG, CNRS / Université Grenoble Alpes / IRD / IFSTTAR / Université de Savoie) et du Laboratoire de spectrochimie infrarouge et raman (LASIR, Université sciences et techniques de Lille) ont montré que la plante Tillandsias capillaris ne permet pas de suivre une forte pollution métallique sur une période supérieure à 4 mois. Les chercheurs préconisent donc l’usage de prélèvements sur filtres, malgré leur coût plus élevé.

Tillandsia capillaris
© Gaëlle Uzu, LTHE/OSUG

La pollution atmosphérique dans les mégalopoles a un impact majeur sur la santé humaine et la qualité de l’environnement. Une alternative à l’utilisation de prélèvements actifs ou passifs sur filtres pour identifier les polluants environnementaux, tels que les métaux lourds, contenus dans ces particules consiste à utiliser des espèces bio-indicatrices (espèces dont la présence ou l’état révèle certaines caractéristiques écologiques). Tillandsias capillaris est une plante épiphyte de la famille des broméliacées très répandue en Amérique latine, notamment en Bolivie où elle court le long des fils électriques. Comme elle puise toute son eau dans l’humidité de l’air et ses nutriments dans les particules et gaz atmosphériques, elle y est souvent utilisée pour surveiller à moindre coût la qualité de l’air.

Une équipe internationale comprenant des chercheurs de plusieurs laboratoires français (GET, LTHE, ISTerre et LASIR) ont mené une étude dont l’objectif principal était de déterminer si cette plante pouvait servir d’espèce bio-indicatrice de la qualité de l’air au niveau de la ville minière d’Oruro en Bolivie, une ville aux multiples sources de pollutions métalliques (trafic, fonderies, mines).

Exposition de filtre passif (mât de gauche) et de Tillandsias capillaris (mât de droite), centre ville d’Oruro
© Gaëlle Uzu, LTHE/OSUG

En 2012, les chercheurs ont récolté, dans une région non polluée de Bolivie, des plants de Tillandsias capillaris dont ils ont estimé les taux en métaux trace. Ces plants ont ensuite été placés dans des filets de nylon, lesquels ont été accrochés à des poteaux électriques répartis dans trois zones de la ville de différents niveaux de contamination. Une fois par mois pendant six mois, les chercheurs ont récupéré des filets dans chacune de ces zones afin d’analyser les plans de Tillandsias capillaris. Ils ont ainsi pu réaliser une cinétique de bio-accumulation dans le temps de plusieurs métaux trace [2] qu’ils ont comparée, qualitativement et quantitativement, à leur cinétique d’accumulation sur les filtres passifs.
Les analyses ont fait clairement ressortir une forte pollution multi-métallique au niveau de la fonderie d’étain située à l’est de la ville. Dans cette zone, les plants de Tillandsias capillaris présentaient, à partir de 4 mois d’exposition, soit une saturation soit une perte en éléments métalliques (indiquant l’existence possible d’un mécanisme de détoxification ou de lessivage), alors que les filtres passifs présentaient une accumulation linéaire tout au long des six mois. Ce résultat indique que cette plante non hyper accumulatrice n’est pas adaptée au suivi d’une forte pollution métallique lorsque celui-ci est supérieur à 4 mois. En revanche, pour des zones urbaines moins exposées aux métaux atmosphériques, cette plante reflète bien les niveaux de métaux présents dans l’air, et ce sur des périodes bien plus longues que les filtres qui s’endommagent très vite à cause de la grande amplitude thermique entre la nuit et le jour.

Comparaison de la dynamique du plomb et de l’arsenic dans la plante épiphyte Tillandsias capillaris et dans des filtres passifs
Schreck, Sarret et al. 2016

Les chercheurs ont analysé les plants de Tillandsias capillaris par spectroscopie XAS (X-ray absorption spectroscopy) à l’ESRF (European synchrotron radiation facility), afin de déterminer les différentes formes chimiques sous lesquelles se trouvaient le plomb et l’arsenic, choisis car ils présentent des bio-accumulations importantes dans les trois zones.
Les chercheurs ont ainsi pu observer pour le plomb des différences de spéciation chimique entre les sites, qui suggèrent l’existence de sources différentes, et à la fois pour le plomb et l’arsenic des différences de spéciation chimique entre les végétaux et les filtres passifs, qui suggèrent cette fois l’existence de processus réactionnels impliquant ou non le vivant. Ils ont également pu identifier, par microscopie électronique, d’une part des particules métalliques au niveau du bouclier central sous les trichomes (qui régissent les échanges nutritionnels) indiquant que celui-ci pourrait être une voie d’entrée dans la plante et d’autre part des espèces adsorbées ou complexées du plomb au niveau des parois cellulaires de la plante. Aucune espèce soufrée (As(III)-S) indicatrice de la détoxification de l’arsenic n’a en revanche été identifiée.
Cette étude a donc permis de montrer qu’après avoir été pris au piège par les plantes, les contaminants atmosphériques particulaires ont subi des transformations, mais elle n’a pas permis d’exhiber de preuve claire de métabolisation ou de détoxification.

Finalement, les filtres passifs se sont avérés plus fiables, dans cette zone très polluée, que les Tillandsias capillaris transplantées, même si ces spécimens naturels ont fourni quelques indications sur la contamination locale.

Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet Aérobol financé par le programme EC2CO du CNRS-INU.

Source :
Schreck, E., G. Sarret, P. Oliva, A. Calas, S. Sobanska, S. Guédron, F. Barraza, D. Point, C. Huayta, R.-M. Couture, J. Prunier, M. Henry, D. Tisserand, S. Goix, J. Chincheros and G. Uzu (2016). "Is Tillandsia capillaris an efficient bioindicator of atmospheric metal and metalloid deposition ? Insights from five months of monitoring in an urban mining area." Ecological Indicators 67 : 227-237.

Contact scientifique local :
 Gaëlle Uzu, LTHE/OSUG : gaelle.uzu (at) univ-grenoble-alpes.fr

Cette actualité est également relayée par
 l’institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)


Notes
1. Les autres institutions impliquées sont les suivantes : Environmental department (Government of Oruro, Bolivia), Norwegian Institute for water research (Norway), University of Waterloo (Canada), Institut ecocitoyen (Centre de vie la Fossette), Universidad Mayor de San Andrés (Bolivia)
2. l’argent, l’arsenic, le cadmium, le mercure, le plomb, l’antimoine, l’étain et le zinc.

Mis à jour le 8 septembre 2016