Billard planétaire autour de Beta Pictoris

Une équipe internationale d’astronomes, impliquant des chercheurs de l’IPAG, dévoile des images spectaculaires du disque de poussières et de gaz autour de Beta Pictoris. Ces images obtenues avec le grand interféromètre millimétrique ALMA [1] montrent pour la première fois la distribution du gaz autour de l’étoile, et révèlent une forte asymétrie dans sa répartition. La présence même de ce gaz, du monoxyde de carbone (CO), est source d’étonnement. L’équipe estime qu’une molécule de CO ne survit guère plus que 120 ans au rayonnement environnant avant de se dissocier, soit un temps de vie environ 100 000 fois plus court que l’âge de l’étoile. Ces résultats, qui pourraient nous en dire plus sur le Système solaire, sont parus dans Science le 6 mars 2014.

Cette vue d’artiste illustre le modèle retenu pour expliquer les observations de Beta Pictoris réalisées par ALMA
Ces nouvelles observations d’ALMA montrent maintenant que le disque autour de l’étoile est infiltré par du monoxyde de carbone. La présence de monoxyde de carbone pourrait indiquer que le système planétaire Beta Pictoris pourrait éventuellement devenir un bon lieu pour la vie. Sur la bordure externe du système, l’influence gravitationnelle d’une hypothétique planète géante (en bas à gauche) capture des comètes dans une concentration massive et dense (à droite) où des collisions ont fréquemment lieu.
© NASA’s Goddard Space Flight Center/F. Reddy
© NASA’s Goddard Space Flight Center/F. Reddy
L’image faite par ALMA du monoxyde de carbone autour de Beta Pictoris (au-dessus) peut être déprojeté (au-dessous) pour simuler une vue plongeante sur le système, révélant la forte concentration de gaz dans ses extrémités
A titre de comparaison, les orbites dans le Système solaire sont présentés pour l’échelle.
© ALMA (ESO/NAOJ/NRAO) and NASA’s Goddard Space Flight Center/F. Reddy
© ALMA (ESO/NAOJ/NRAO) and NASA’s Goddard Space Flight Center/F. Reddy

Au cours des 20 dernières années, notre connaissance des systèmes planétaires autour des autres étoiles a considérablement progressé. La détection de planètes extrasolaires est désormais chose fréquente, comme le montrent les derniers résultats de la mission Kepler [2]. Cependant, ces observations sont indirectes et des images d’exoplanètes sont limitées aujourd’hui à une petite poignée d’entre elles. La planète autour de l’étoile Beta Pictoris appartient à ce dernier groupe restreint. Les images de cette planète obtenues depuis 2003 par une équipe française, en analysant le disque de poussières autour de l’étoile, sont fascinantes [3]. Elles montrent pour le première fois une exoplanète tourner sur son orbite autour son étoile. Une autre planète inconnue à ce jour pourrait bien avoir laissée elle aussi une empreinte sur le disque.

L’origine du CO gazeux autour de Beta Pictoris est encore incertaine, mais le scénario le plus probable est qu’il provient de l’évaporation de glaces, contenant du CO à l’état solide, et relâché lors de collisions violentes entre des petits corps (astéroïdes ou comètes). Les glaces libérées s’évaporaient sous l’effet du rayonnement de l’étoile. Ce mécanisme doit être suffisamment important et fréquent pour observer le gaz aujourd’hui encore. Mais cela n’explique en rien la forte asymétrie dans la distribution du CO, les hypothèses avancées requièrent l’aide des exoplanètes. Dans une première hypothèse, les chercheurs envisagent les conséquences d’une collision catastrophique ayant engendré la production d’une grande quantité de gaz suite à la réduction en poussières d’une petite planète de masse comparable à Mars. Il se pourrait ainsi que l’on observe autour de la jeune Beta Pictoris (12-20 millions d’années) des évènements violents similaires à ceux ayant eu lieu dans les phases finales de formation des planètes telluriques dans le système solaire jeune.

La seconde hypothèse fait également intervenir une planète juste à l’intérieur de l’amas de gaz. Par un mécanisme de piégeage (résonances orbitales) avec une planète migrant dans la direction opposée à l’étoile, des petits corps se seraient majoritairement agglutinés dans quelques endroits spécifiques, en particulier dans une région très dense devenue un lieu privilégié de collisions. Ce scénario présente des similitudes avec le cas de Neptune migrant vers la ceinture de Kuiper lorsque le système solaire était encore jeune. Si cette deuxième hypothèse est la bonne, nul doute que la nouvelle génération d’instruments imageurs comme l’instrument SPHERE [4] sur le télescope VLT de l’ESO, ou GPI sur le télescope GEMINI, chercheront à obtenir un cliché de la seconde planète autour de Beta Pictoris. La chasse à de nouvelles planètes est relancée et, trente ans après sa découverte, Beta Pictoris n’en finit pas d’être à l’avant-scène pour l’étude des systèmes planétaires extrasolaires.

Contacts scientifiques locaux
 Jean-Charles Augereau, IPAG-OSUG : jean-charles.augereau |a| obs.ujf-grenoble.fr, 04 76 51 47 86
 Anne-Marie Lagrange, IPAG-OSUG : anne-marie.lagrange |a| obs.ujf-grenoble.fr, 04 76 51 42 03

Cette actualité est également relayée par
 l’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU
 l’Observatoire Européen Austral - ESO
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Référence
Molecular Gas Clumps from the Destruction of Icy Bodies in the β Pictoris Debris Disk, W. R. F. Dent1, M. C. Wyatt2, A. Roberge3, J.-C. Augereau4, S. Casassus5, S. Corder1, J. S. Greaves6, I. de Gregorio-Monsalvo1,7, A. Hales1, A. P. Jackson2,8, A. Meredith Hughes9, A.-M. Lagrange4, B. Matthews10, D. Wilner11, Science, mars 2014. Lire l’article

1 ALMA Santiago Central Offices, Santiago, Chile.
2 Institute of Astronomy, Cambridge, UK.
3 Exoplanets and Stellar Astrophysics Lab, NASA Goddard Space Flight Center, Greenbelt, USA.
4 Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (IPAG), UMR 5274, Grenoble, France.
5 Departamento de Astronomía, Universidad de Chile, Santiago, Chile.
6 Dept. of Astronomy, University of St. Andrews, UK.
7 European Southern Observatory, Garching, Germany.
8 School of Earth and Space Exploration, Arizona State University, USA.
9 Wesleyan University Department of Astronomy, Van Vleck Observatory, Middletown, USA.
10 National Research Council of Canada, Herzberg Astronomy & Astrophysics Programs, Victoria, Canada, and Department of Physics & Astronomy, University of Victoria, Victoria, Canada.
11 Smithsonian Astrophysical Observatory, Cambridge, USA.


1 ALMA est un interféromètre de pointe qui permet d’explorer les objets de l’Univers, dans le domaine millimétrique et submillimétrique avec une grande sensibilité et une résolution angulaire similaire au télescope spatial Hubble. C’est le plus grand projet existant pour l’astronomie au sol. ALMA est un partenariat entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie de l’Est, en collaboration avec la République du Chili. Il a été inauguré en mars 2013 mais observe depuis 2011. http://www.almaobservatory.org/

2 La mission Kepler de la NASA a annoncée récemment la découverte de 715 nouvelles potentielles exoplanètes, portant le total à plus de 1700. http://www.nasa.gov/ames/kepler/nasas-kepler-mission-announces-a-planet-bonanza/#.UxhErV45i5c et http://exoplanet.eu/

3 En 2003, Anne-Marie Lagrange et son équipe de l’IPAG à Grenoble, ont réalisé la première image directe d’une exoplanète et ce autour de Beta Pictoris http://www.eso.org/public/news/eso0428/

4 SPHERE (Spectro-Polarimetric High-contrast Exoplanet REsearch) est un instrument nouveau et puissant dédié à la recherche systématique ainsi qu’à l’étude d’exoplanètes. L’instrument a récemment achevé avec succès sa phase de tests en France, il a été officiellement accepté par l’ESO et vient d’être expédié au Chili. Il sera installé sur le Très Grand Télescope (VLT) de l’ESO durant les prochains mois et sera pleinement opérationnel d’ici la fin de l’année. http://www.insu.cnrs.fr/node/4739

Mis à jour le 14 mars 2014