Découverte d’une nouvelle route de migration chez les passereaux entre la Sibérie et l’Europe

Une forte proportion des oiseaux vivants dans les régions tempérées ou froides sont des migrateurs saisonniers : ils se déplacent deux fois par an entre leurs zones de nidification, où les ressources, alimentaires notamment, sont abondantes en été mais rares l’hiver et leurs zones d’hivernage où ils trouveront des ressources pour survivre le reste de l’année. Chez de nombreuses espèces (grues, cigognes, oies par exemple) ces routes de migration sont apprises par les jeunes qui suivent les adultes lors de leur premier voyage. Chez ces espèces, on connaît de nombreux changements contemporains de routes de migration et de sites d’hivernage. En revanche, chez les passereaux (les petits oiseaux dont les moineaux, les fauvettes, les hirondelles, entre autres), les jeunes des espèces migratrices voyagent seuls en suivant un programme de migration codé génétiquement. Chez ces espèces, des changements de route de migration impliquent donc une évolution biologique et sont beaucoup plus rares.
Malgré cette apparente stabilité des routes migratoires et pour des raisons encore inconnues, des individus « égarés » de plusieurs espèces de passereaux d’origine sibérienne sont observés chaque année en faible nombre en Europe, bien loin de leurs routes habituelles. Pour une de ces espèces, le Pipit de Richard (Anthus richardi), l’augmentation rapide des effectifs d’individus “égarés” en Europe au cours des dernières décennies a interpellé les chercheurs. En effet, cette espèce migratrice et nicheuse dans les steppes d’Asie centrale était jusque-là connue pour passer l’hiver en Asie du Sud-Est. Des premiers cas d’hivernage notés dans les années 1990 dans le sud de la France ont soulevé l’hypothèse d’une migration régulière de cette espèce asiatique vers l’Europe pour y passer l’hiver.
Le marquage individuel de plusieurs individus en hiver dans le sud de la France a montré que les mêmes individus reviennent d’année en année sur les mêmes sites d’hivernage, confirmant le statut de migrateur régulier de l’espèce en Europe. A l’aide de géolocalisateurs posés sur quelques individus, les chercheurs ont prouvé que les oiseaux passant l’hiver dans le sud de la France se reproduisent en Sibérie, dans le sud de la Russie et près de la Mongolie, à la bordure occidentale de la distribution connue de l’espèce. Ils entreprennent ainsi un long trajet Est-Ouest d’environ 7000 km, une direction complètement opposée à celle que suit normalement l’espèce pour se rendre sur ces quartiers d’hivernages ancestraux en Asie du Sud-Est.
Pour expliquer l’origine de cette voie de migration vers l’Europe au sein d’une espèce qui migre normalement vers l’Asie, les auteurs proposent que certains des individus égarés en automne en Europe aient pu y trouver des zones d’hivernage favorables, leur permettant de survivre puis de revenir se reproduire dans leur aire de reproduction habituelle. Si leur trajet atypique résulte d’une modification de leur patrimoine génétique, ils pourraient avoir transmis à leur descendance cette nouvelle route de migration. En modélisant la distribution hivernale de l’espèce en Asie et en Europe, les chercheurs montrent par ailleurs que l’espèce a pu bénéficier d’une hausse des températures liée au réchauffement climatique pour coloniser de nouveaux sites d’hivernages, notamment dans le sud de la France.

Référence
Dufour P, de Franceschi C, Doniol-Valcroze P, Jiguet F, Guéguen M, Renaud J, Lavergne S, Crochet P-A, A new westward migration route in an Asian passerine bird, Current Biology
DOI : https://doi.org/10.1016/j.cub.2021.09.086
Contact scientifique local
– Paul Dufour, LECA / OSUG
Mis à jour le 10 janvier 2022