L’ADN sédimentaire révèle 6000 ans d’histoire de l’élevage archivés au fond d’un lac de montagne

Grâce à l’ADN piégé dans les sédiments lacustres, des chercheurs du LECA et du laboratoire EDYTEM ont pu confirmer la présence de troupeaux autour du Lac d’Anterne, près de Chamonix, dès 3000 avant Jésus-Christ. Fait intéressant : les périodes d’élevage mises en évidence dans l’étude correspondent aux pics d’érosion constatés dans cette zone – suggérant que l’activité humaine a eu très tôt un impact sur les milieux d’altitude.

Situé à 2063 mètres d’altitude, dans les Alpes du Nord, le lac d’Anterne a enregistré l’histoire de son bassin versant depuis des milliers d’années
© laboratoire EDYTEM

Les couches de sédiments accumulés depuis des millénaires au fond des lacs de montagne sont de véritables archives pour les chercheurs : les carottages réalisés permettent de déterminer la nature de la végétation qui entourait le lac, l’intensité de l’érosion, mais aussi - et c’est nouveau – le type d’animaux qui paissait autour. « La fonte des neiges et la pluie entraînent au fond du lac de la terre, fragments rocheux, des débris végétaux, mais aussi de l’ADN provenant notamment des déjections des troupeaux, indique Charline Giguet-Covex, sédimentologue et Johan Pansu, co-auteurs de l’article paru dans Nature communications. C’est cet ADN d’origine animale que nous avons analysé pour la première fois au Lac d’Anterne, et comparé aux autres données issues des sédiments, concernant notamment l’érosion du bassin situé autour ». Forts de ces indices, les chercheurs du laboratoire Environnement, dynamique et territoires de la montagne (EDYTEM) et du laboratoire d’Ecologie alpine (LECA) ont pu retracer une partie de l’histoire de l’élevage à cet endroit.

Grâce aux techniques de séquençage haut-débit, l’ADN piégé dans les sédiments a permis de déterminer pour chaque période la nature des troupeaux paissant autour du lac. « Notre étude suggère une pratique ancienne du pastoralisme dans ce bassin, puisqu’on retrouve la trace de troupeaux de vaches dès 3000 av. J-C, indique Charline Giguet-Covex. On a ensuite des indices suggérant la présence du mouton à l’âge du bronze, vers 1450 av. J-C. Cette phase coïncide avec une période d’accélération des phénomènes d’érosion ».

Un pic d’activité pastorale, marqué par la détection d’une grande quantité d’ADN de vaches et de moutons est atteint à la période romaine. Il coïncide avec le pic majeur d’érosion du milieu.

Après une diminution, voire une disparition du pastoralisme, les troupeaux mixtes vaches-moutons reviennent vers l’an mille et sont progressivement remplacés par des troupeaux exclusivement bovins.

« Cette étude montre tout l’intérêt d’utiliser l’ADN sédimentaire, à condition de le coupler à d’autres techniques d’analyse, estime Charline Giguet-Covex. Elle confirme également que les changements du climat ne sont pas les seuls responsables de l’érosion des milieux d’altitude, mais que l’impact des activités pastorales est également important ».

Contact scientifique local
 Charline Giguet-Covex, LECA-OSUG : 04 76 51 42 78, charline.giguet-covex |a| ujf-grenoble.fr

Cette actualité est également relayée par
 l’Institut Ecologie et Environnement du CNRS - INEE (source)
 le laboratoire Environnement, dynamique et territoires de la montagne - EDYTEM
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Références
Long livestock farming history and human landscape shaping revealed by lake sediment DNA, Charline Giguet-Covex1,2, Johan Pansu1, Fabien Arnaud2, Pierre-Jérôme Rey2, Christophe Griggo2, Ludovic Gielly1, Isabelle Domaizon3, Eric Coissac1, Fernand David4, Philippe Choler1,4, Jérôme Poulenard2 et Pierre Taberlet1, publié le 3 février dans Nature communications. Lire l’article

1 Laboratoire d’Ecologie Alpine (CNRS / Université de Savoie / Université Joseph Fourier)
2 EDYTEM (Université de Savoie / CNRS)
3 INRA
4 CEREGE (Université Aix-Marseille)
5 Station Alpine Joseph Fourier (CNRS / Université Joseph Fourier)

Mis à jour le 3 avril 2014