L’Afrique de l’Ouest et centrale face aux inondations à répétition

Depuis la fin des années 1990, l’Afrique de l’Ouest connait une intensification des pluies qui entraine de graves inondations.© IRD - Tahirou AMADOU
Les récentes inondations en Afrique de l’Ouest et centrale pointent l’urgence de trouver des réponses adaptées grâce aux recherches scientifiques. Les régions d’Afrique centrale et de l’Ouest connaissent depuis la fin des années 1990 une intensification du régime pluvial lors des saisons de mousson, entraînant de plus en plus d’inondations. L’année 2024 ne fait pas exception : depuis le mois d’août, des pluies torrentielles ont déjà inondé une dizaine de pays, de la République démocratique du Congo au Liberia, en passant par le Tchad et le Mali. Ces catastrophes ont fait plus de 1 500 victimes et déplacé plus d’1,2 million de personnes. Face à ce scénario qui tend à se répéter d’année en année, il est urgent de comprendre et d’anticiper les grandes évolutions hydro-climatiques à venir, afin d’apporter des réponses concrètes et adaptées.

Des inondations aux typologies et causes multiples

Il existe deux grands types d’inondation. Celles liées aux débordements des cours d’eau d’une part, résultant d’une accumulation des écoulements provenant de l’amont., Et celles que l’on peut qualifier de pluviales, d’autre part, causées par le ruissellement direct des pluies diluviennes qui submergent les systèmes de drainage. Ces dernières sont souvent plus meurtrières, en particulier dans les zones urbaines.

À ces différents types s’ajoute une diversité de causes, comme l’explique Yves Tramblay, hydrologue à l’IRD :

« la hausse de la fréquence et de la sévérité des inondations est due aux effets combinés du dérèglement climatique et de l’occupation des sols ».

L’augmentation des températures entraîne une intensification du cycle hydro-climatique, avec une alternance d’importants épisodes de sécheresse et de précipitations extrêmes lors des moussons.

« Plus le climat se réchauffe, plus l’atmosphère peut contenir de la vapeur d’eau et plus les pluies sont violentes »,

explique Thierry Lebel, hydro-climatologue IRD à l’institut des géosciences de l’environnement (IGE- OSUG, CNRS / IRD / INRAE / Grenoble INP / Université Grenoble Alpes). Le cumul annuel des précipitations n’est cependant pas nécessairement plus important, mais on assiste à l’émergence d’une plus forte variabilité intra-saisonnière.

© IRD - Yves Tramblay
Avec l’urbanisation, les sols sont de plus en plus bétonnés, donc imperméables, ce qui amplifie les phénomènes de ruissellement.© Ansoumana Bodian

L’occupation des sols, quant à elle, joue un rôle déterminant dans les conséquences catastrophiques des inondations, et ce à plusieurs niveaux. À la suite des grandes sécheresses des années 1970 à 2000, les populations ont aménagé les berges et zones basses autrefois immergées. Or, avec l’intensification des pluies, ces espaces sont particulièrement vulnérables aux inondations et se retrouvent régulièrement ravagés par les débordements des cours d’eau. Ce risque est accentué par l’absence de planification urbaine et de prise en compte de la question de l’évacuation des eaux.

« À Dakar, par exemple, faute de réseaux d’assainissement, la nappe phréatique est saturée et ne peut alors plus absorber les eaux de pluie, entraînant d’importants phénomènes de ruissellement »,

explique Ansoumana Bodian, hydrologue au département de géographie de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, au Sénégal.

Les phénomènes de ruissellement sont d’autant plus problématiques que la croissance galopante des mégalopoles d’Afrique centrale et de l’Ouest s’accompagne d’une importante bétonisation, et donc imperméabilisation complète, des sols. Dans les zones rurales, l’imperméabilisation partielle des sols est elle aussi à l’œuvre en raison, notamment, de l’encroûtement lié aux pratiques culturales et aux sécheresses plus intenses.

© Ansoumana Bodian

Mieux comprendre et anticiper les évolutions hydro-climatiques

© IRD - Thierry Lebel

« Nous disposons de modèles prédictifs sur les précipitations bien moins fiables que sur les températures, car c’est une physique plus complexe, dans laquelle les effets d’échelle jouent un rôle fondamental »,

souligne Thierry Lebel.

Pour améliorer les connaissances scientifiques dans ce domaine, et surveiller les trajectoires hydro-climatiques, il est essentiel de mettre en place des observatoires de qualité sur la durée, ainsi que de former des personnes compétentes sur place.

« Les programmes d’hydrologie, particulièrement d’hydrologie urbaine, sont peu nombreux en Afrique de l’Ouest, or c’est par la formation et la collecte d’informations de qualité que l’on pourra trouver des solutions concrètes à la gestion des inondations »,

explique Ansoumana Bodian.

Les réseaux d’observation hydrologique au sol se sont dégradés dans les grands bassins fluviaux et restent inexistants en milieu urbain, d’autant plus depuis l’avènement des observations satellitales. Pourtant,

« les satellites livrent des informations intéressantes mais indirectes. Elles ont besoin d’être validées par les données collectées par un réseau de capteurs au sol »,

développe Ansoumana Bodian. La question de la disponibilité des données ouvertes est également fondamentale pour que les modèles de prévision hydrologique soient pertinents et actualisés.

« Il faut qu’il y ait un dialogue entre les différentes disciplines scientifiques pour que les prévisions météorologiques puissent être traduites en impacts hydrologiques »,

ajoute Yves Tramblay.

Le réchauffement climatique augmente les risques d’inondations en Afrique de l’Ouest, comme ici à Ouagadougou (Burkina Faso) en 2009. © IRD - Aude Nikiéma

Penser des stratégies d’adaptation pertinentes

À ce volet scientifique et technique de production et récupération des données s’ajoute un volet sociologique pour minorer autant que possible les conséquences désastreuses des inondations : la mise en place de systèmes d’alerte efficaces. Sensibilisation des populations, formation de personnes référentes, utilisation du système de téléphonie mobile… De nombreuses pistes restent à explorer et exploiter pour éviter les drames humains. Enfin, il est crucial que les autorités publiques intègrent les nouvelles réalités hydro-climatiques dans la planification urbaine, en matière d’aménagement des territoires et d’adaptation des systèmes de drainage. Autant de solutions qui demanderont le concours des scientifiques, des décideurs et d’une importante partie de la société civile.


Contacts scientifiques locaux

 Thierry Lebel, chercheur IRD à l’IGE (IRD/Université Grenoble-Alpes/Inrae/CNRS/Grenoble INP-UGA)

Cet article, rédigé par Louise Hurel, IRD, a initialement été publié par IRD le Mag’.

Mis à jour le 16 décembre 2024