L’histoire du volcanisme stratosphérique des 2600 dernières années, revue par les isotopes du sulfate

Des éruptions troposphériques proches de (ou sur) la calotte Antarctique (ici le mont Erebus) peuvent être associées à d’importants pics de sulfate dans les archives glaciaires, sans pour autant avoir eu d’incidence climatique globale. La signature isotopique du sulfate permet de distinguer ces éruptions (troposphériques) locales des éruptions stratosphériques, d’impact climatique significatif. © Bruno Jourdain IGE/UGA/IPEV
Dans les archives glaciaires, les éruptions volcaniques passées sont associées à des pics de concentration de sulfate. Pour estimer la contribution volcanique aux variations climatiques passées, il est nécessaire de pouvoir distinguer, dans ces enregistrements, les éruptions stratosphériques, à fort impact climatique, des éruptions troposphériques, d’impact faible et local. L’étude des isotopes du sulfate (soufre et oxygène), nous permet de faire cette distinction et d’établir un inventaire des éruptions stratosphériques enregistrées à Dôme C, Antarctique, sur les 2600 dernières années.


Les laboratoires français qui ont participé à cette étude sont l’Institut des géosciences de l’environnement / OSUG (IGE, CNRS/IRD/Université Grenoble Alpes/Grenoble INP) et leLaboratoire de géologie de Lyon (LGL-TPE, ENS/CNRS/Université de Lyon).

La glace polaire est sans nul doute la meilleure archive dont nous disposons en terme de paléo volcanisme. Les reconstructions du volcanisme passé se basant sur l’analyse des carottes de glace sont nombreuses. Elles alimentent notamment les modèles de forçage climatique, dans le but d’estimer l’effet refroidissant du volcanisme et ses conséquences climatiques, dû aux interactions entre aérosols d’acide sulfuriques d’origine volcanique, et le rayonnement solaire incident. Différencier, dans les enregistrements volcaniques polaires, les éruptions troposphériques des éruptions dites stratosphériques (à fort impact climatique) est crucial pour estimer le forçage climatique naturel exercé par le volcanisme dans le passé. La découverte d’une signature isotopique particulière sur le sulfate volcanique formé dans la stratosphère nous permet d’établir une reconstruction des éruptions stratosphériques enregistrées à Dôme C, Antarctique, sur les 2600 dernières années.

Jusqu’alors, les reconstructions volcaniques ont été faites à partir d’enregistrements volcaniques bipolaires (carottes de glace issues d’Antarctique et du Groenland), et reposent sur le principe qu’une éruption stratosphérique, à fort impact climatique, entraine un dépôt global de sulfate, mis en évidence par comparaison de carottes de glace de pôles opposés. Les émissions soufrées issues d’une éruption dite troposphérique ont, quant à elles, une faible durée de vie dans cette basse couche de l’atmosphère, et leur incidence climatique reste négligeable avec des conséquences surtout locales. Cette approche, dite bipolaire, nécessite une excellente synchronisation et datation des carottes de glaces entre elles.

Forage des carottes de névé utilisées pour établir la présente reconstruction volcanique, sur le site de Dôme C, Antarctique. © Bruno Jourdain IGE/UGA/IPEV

Les carottes de glace offrent une alternative intéressante à cette méthode : l’analyse du soufre des sulfates volcaniques révèle la présence d’anomalies isotopiques (Δ33S ≠ 0) dans les aérosols d’acide sulfurique formés dans la stratosphère uniquement, permettant la discrimination entre éruptions troposphériques et éruptions stratosphériques. En 2010-2011, 5 carottes de névé de 100 m de long ont été collectées à Dôme C, Antarctique, grâce à un important soutien logistique de l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor (IPEV), du forage jusqu’au rapatriement des carottes à Grenoble. Ces carottes ont été analysées et échantillonnées dans le but de reconstruire une histoire du volcanisme stratosphérique des 2600 dernières années, par la méthode isotopique.

Cette première reconstruction des éruptions stratosphériques par la méthode isotopique fourni une validation indépendante des reconstructions antérieures. Pour la majorité des éruptions, la présente reconstruction confirme la qualité des plus récentes reconstructions bipolaires, avec une bonne corrélation entre signaux bipolaires et signaux stratosphériques identifiés par l’isotopie. Cependant, la méthode isotopique met en évidence des évènements stratosphériques de hautes latitudes, non bipolaires mais néanmoins significatifs d’un point de vue climatique. Il arrive en effet que les aérosols issus d’une éruption stratosphérique localisée dans les hautes latitudes se cantonnent à un seul hémisphère. L’analyse isotopique révèle également, en profondeur, des signaux troposphériques jusqu’alors considérés comme bipolaires. Elle permet donc d’affiner les précédentes reconstructions, et de valider, ou non, l’utilisation de certains signaux volcaniques comme repères temporels robustes dans le travail de datation.

Tandis que l’analyse isotopique du soufre nous renseigne sur la nature de l’éruption, l’analyse isotopique de l’oxygène révèle un effondrement du traceur (Δ17O) suite à deux éruptions majeures. Cette évolution du signal isotopique reflète soit une altitude d’injection particulièrement importante, soit un épuisement de l’ozone atmosphérique, provoqué par une large injection de composés halogénés.

Etendue à d’autres régions (hémisphère nord) et types de sites (forts taux d’accumulation), cette approche isotopique constitue un outil puissant pour affiner et compléter les reconstructions du volcanisme passé, et à terme, pour mieux quantifier l’impact du volcanisme sur le climat.

Dans les carottes de glace, les éruptions volcaniques sont associées à des pics de concentration de sulfate. L’analyse isotopique du sulfate volcanique permet de différencier les éruptions stratosphériques (en rouge), à fort impact climatique, des éruptions troposphériques (en bleu), d’incidence climatique négligeable et locale. Les éruptions enregistrées à Dôme C (Antarctique) sur les 2600 dernières années sont majoritairement d’origine stratosphérique.

Ces recherches ont été menées grâce au soutien de l’Agence nationale de la recherche, de l’Institut National des Sciences de l’Univers (INSU/CNRS), de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Grenoble (OSUG), de l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor (IPEV), de la région Rhône-Alpes, de la commission Fulbright, de la fondation BNP-Paribas et de la Japan Society for the Promotion of Science.


Source

2600-years of stratospheric volcanism through sulfate isotopes, E. Gautier, J. Savarino, J. Hoek, J. Erbland, N. Caillon, S. Hattori, N. Yoshida, E. Albalat, F. Albarede & J. Farquhar, Nature Communications (2019)
DOI : 10.1038/s41467-019-08357-0

Contact scientifique local

 Elsa Gautier, IGE / OSUG | elsa.gautier univ-grenoble-alpes.fr, 06 41 36 65 68

► Cet article a initialement été publié par l’INSU

Publié le 6 février 2019

Mis à jour le 6 mars 2019