L’or vert mexicain menace agriculteurs, écosystèmes et papillons monarques
« Les eaux de la réserve de biosphère qui abritent cet étonnant papillon migrateur ainsi que les zones environnantes sont contaminées par les pesticides »,
indique Ana Merlo, doctorante en sciences de la terre à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE).
À la place des cultures traditionnelles
La forte demande en avocats du marché américain conduit depuis plusieurs années à une véritable ruée sur ce nouvel or vert dans la région : les plantations d’avocatiers, exploitées en continu à grand renfort d’intrants chimiques [3], viennent remplacer les cultures traditionnelles saisonnières d’avoine, maïs et autres haricots rouges.
« Pour pallier le manque de données sur les pratiques agricoles et les produits utilisés, et savoir quelles substances rechercher dans les milieux, nous avons mené une enquête sur le terrain, explique la jeune chercheuse. 55 entretiens avec des petits agriculteurs nous ont permis d’identifier les types de pesticides, les quantités, les fréquences et les méthodes d’application. »
Ce faisant, les scientifiques ont découvert que les utilisateurs connaissent très mal les intrants qu’ils emploient, les précautions élémentaires pour leur propre sécurité et pour celle des écosystèmes. Mais aussi qu’ils en font un usage intensif pour la production des avocats [4], bien plus que pour les cultures traditionnelles.
Forte contamination des milieux
De fait, les prélèvements et les analyses d’eau de surface et souterraine ont révélé une forte contamination des milieux naturels par les intrants chimiques et leurs résidus.
« Dans ces échantillons, nous avons décelé la présence de 13 pesticides différents et de produits de dégradation »,
explique Christine Baduel, chimiste environnementale de l’IRD à l’IGE. Cette pollution touche à la fois le bassin versant situé au sud de la réserve de biodiversité des monarques, zone dévolue à l’avocat, et le bassin versant nord, où subsistent des productions traditionnelles. La zone protégée elle-même n’est pas épargnée : on y retrouve un métabolite probablement dérivé des pesticides utilisés pour lutter contre les infestations de scolytes dans la forêt, des produits pourtant interdits dans cette zone…
Restitution aux intéressés
Au-delà de l’habituelle publication dans une revue scientifique, les chercheuses et organisations non gouvernementales mexicaines ont commencé à diffuser les résultats de cette étude auprès des principaux intéressés. Un premier atelier destiné aux agriculteurs des communautés de Zitacuaro a été organisé en février.
« Il s’agit tout à la fois d’expliquer les dangers invisibles liés à la dissémination des pesticides, d’informer sur les bonnes pratiques, ménageant la sécurité des personnes et des milieux, et d’encourager à la modération dans le recours aux intrants chimiques »,
conclut Ana Merlo.

Un migrateur chatoyant
Grand voyageur et toxique pour ses prédateurs, le papillon monarque est une espèce d’insecte des plus originales et fascinantes. Chaque année, les monarques effectuent en effet une migration extraordinaire, sur des milliers de kilomètres, les menant des États-Unis et du Canada vers les forêts de pins d’Oyamel au Mexique, et inversement. Ce voyage est une prouesse d’orientation et de survie. Pour se diriger, les papillons utilisent des signaux environnementaux, comme la position du soleil. Aucun individu ne fait l’aller-retour complet ; la migration s’étend sur plusieurs générations.
Se nourrissant de plantes qui contiennent des toxines, les monarques sont par ailleurs vénéneux ou mauvais au goût pour nombre de prédateurs. Ils jouent un rôle crucial dans les écosystèmes en tant que pollinisateurs et sources de nourriture pour des espèces insensibles à leur toxicité. Toutefois, leur population est menacée par la perte d’habitat et les pesticides.
Références
Évaluation des risques des pesticides utilisés dans la ceinture avocatière orientale de Michoacán, Mexique : Une approche par enquête et suivi de l’eau
Ana Merlo-Reyes, Christine Baduel, Céline Duwig & Isabel Ramírez, Risk assessment of pesticides used in the eastern Avocado Belt of Michoacan, Mexico : A survey and water monitoring approach, Science of the Total Environment,15 mars 2024. DOI :10.1016/j.scitotenv.2024.170288
Contacts scientifiques locaux
– Ana Merlo, doctorante à l’IGE-OSUG (IRD/Université Grenoble-Alpes/Inrae/CNRS/Grenoble INP-UGA) et Consejo Nacional de Humanidades, Ciencias y Tecnologías (CONAHCyT), Mexique
– Christine Baduel, chercheuse IRD à l’IGE-OSUG (IRD/Université Grenoble-Alpes/Inrae/CNRS/Grenoble INP-UGA)
– Céline Duwig, chercheuse IRD à l’IGE-OSUG (IRD/Université Grenoble-Alpes/Inrae/CNRS/Grenoble INP-UGA)
Cet article, rédigé par Olivier Blot, DCPI - IRD, a initialement été publié par IRD le Mag’.
Mis à jour le 13 juin 2024