Les oiseaux marins détoxifient le mercure ingéré dans leur alimentation

Les oiseaux marins présentent des concentrations très élevées de mercure dans leurs tissus, y compris dans les zones océaniques les plus reculées du globe. Sachant que la contamination provient de leur nourriture, comment les oiseaux marins arrivent-ils à concilier alimentation et forte exposition à cet élément particulièrement toxique ? C’est ce qu’ont étudié des chercheurs de La Rochelle Université (laboratoire Littoral, Environnement et Sociétés et Centre d’Etudes Biologiques de Chizé) en collaboration étroite avec l’Institut des Sciences de la Terre (ISTerre - CNRS / UGA / IRD / USMB/ UGE) et l’Université de Nantes (Institut des Matériaux Jean Rouxel). Ils ont utilisé une approche novatrice et intégrative combinant analyses chimiques, spectroscopie d’absorption X, et microscopie électronique à transmission à haute résolution.
Du fait de leur position élevée dans les réseaux trophiques et de leur longévité, les prédateurs marins comme les thons, les espadons, les mammifères marins ou encore les oiseaux marins sont fortement exposés et accumulent continuellement une des molécules chimiques les plus toxiques pour la vie, le méthylmercure. Les oiseaux éliminent une partie de ce méthylmercure à chaque fois qu’ils renouvellent leur plumage, le mercure se fixant sur la kératine de leurs plumes. Cette élimination périodique n’est toutefois pas suffisante pour contrecarrer les effets néfastes de ce toxique. Aussi, ont-ils développé un mécanisme de minéralisation qui consiste à associer le mercure au sélénium pour former des granules de séléniure de mercure insoluble (HgSe) appelé tiémannite. La tiémannite, déjà décrite dans le foie des mammifères marins, a été identifiée pour la première fois dans le foie et des tissus extrahépatiques (muscle, reins, cerveau) du pétrel géant. La dimension moyenne des grains de tiémannite augmente avec la concentration en mercure dans les tissus. Les agrégats de HgSe ont une taille de l’ordre de 3 nm dans le muscle ( 90 ppm de Hg), de 5 à 20 nm dans les reins ( 400 ppm) et de 40 et 100 nm dans le foie qui constitue le tissu montrant les plus fortes concentrations de mercure (jusqu’à 1500 ppm de Hg). Leur abondance s’accroit également avec la concentration en mercure. Le cerveau se distingue des autres tissus par une concentration faible en mercure ( 6 ppm de Hg), dont environ un tiers est sous forme de HgSe. Ces faibles concentrations ainsi que la large proportion de Hg sous forme de séléniure de mercure non toxique suggèrent que la déméthylation du méthylmercure dans les différents tissus des pétrels limite son accumulation dans le cerveau où il est ensuite efficacement déméthylé. Les chercheurs ont également identifié un complexe tétrasélénolate (Hg(Sec)4) dans le foie, les reins, le muscle et le cerveau, associé probablement à une protéine riche en sélénium, la sélénoprotéine P. Cette protéine contient 12 résidus sélénocystéine dans la région terminale du domaine β qui servirait de site de complexation puis de nucléation des grains de HgSe. Les nanocristaux de tiémannite croîtraient ensuite selon toute vraisemblance par auto-assemblage des protéines mercurées, comme il est courant dans les processus de biominéralisation. Ces observations montrent le rôle clé du sélénium et des sélénoprotéines dans le processus biochimique de déméthylation du méthylmercure. Ce processus de détoxication, très consommateur de sélénium, ne semble pas limitant pour les oiseaux marins car leur régime alimentaire est riche en cet élément.
Références
Manceau A, Gaillot AC, Glatzel P, Cherel Y, Bustamante P (2021) In vivo formation of HgSe nanoparticles and Hg-tetraselenolate complex from methylmercury in seabird. Implications for the Hg-Se antagonism. Environmental Science & Technology. DOI : https://doi.org/10.1021/acs.est.0c06269
Vidéo réalisée par le synchrotron (ERSF) sur cette thématique : https://www.youtube.com/watch?v=qyzic-YI5js
Contact scientifique local
Alain Manceau, ISTerre / OSUG
Mis à jour le 12 avril 2021