Les particules fines liées aux activités humaines suffoquent Hanoï
« Ces travaux permettront de prendre des mesures visant à contenir les sources d’émissions les plus problématiques par leur abondance ou par leur dangerosité »,
explique Gaëlle Uzu, géochimiste de l’atmosphère IRD à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE).
150 traceurs chimiques
Pour déterminer la contribution relative des différentes sources d’émission, les scientifiques ont échantillonné de l’air avec les particules qu’il contient.
« Nous avons effectué des prélèvements, toujours au même endroit de l’agglomération, tous les deux ou trois jours, pendant un an entre 2019 et 2020, pour appréhender tout à la fois les dynamiques quotidiennes et saisonnières »,
indique Cẩm Tú Vu, chimiste de l’environnement, spécialiste de l’analyse des composés toxiques et polluants des eaux et de l’air, à l’université de science et technologie d’Hanoï. Dans ces particules, les spécialistes ont pisté 150 traceurs chimiques, des molécules caractéristiques de certaines sources d’émission.
« La proportion de lévoglucosan par exemple, une molécule émise en quantité par la cellulose en brulant, nous révèle l’importance de la source liée à la combustion de bois »,
explique Gaëlle Uzu.
Fuel lourd, brûlis, poussières minérales
Leurs analyses ont révélé que les deux premières sources d’émission de particules fines sont liées aux activités humaines : 25 % proviennent de la combustion de fuel lourd [2], plutôt liées ici à la production de charbon, et 20 % sont issues de la combustion de biomasse (bois et végétaux), engendrée par les pratiques agricoles dans la région, incluant l’écobuage et la déforestation. Après elles, viennent des sources naturelles, comme la remise en suspension dans l’atmosphère de poussières minérales issues de l’érosion des roches pour 15 % [3] et d’émissions biogéniques (spores fongiques venus des forêts et des sols) pour 9,5 %. 10 % proviennent d’émissions régionales plus anciennes et sont transportées vers Hanoï par les vents. Le trafic routier, les centrales à charbon et l’industrie locale sont respectivement à l’origine de 7,5 %, 5 % et 4 % des particules atmosphériques. Enfin le sel de mer compte pour 2 % des émissions, la plage n’est qu’à 120 km de la ville !
Effet oxydant et pathologies cardio-respiratoires
Après avoir quantifié les sources de pollutions, les scientifiques ont évalué leur impact probable sur la santé.
« Nous avons établi le potentiel oxydant des principales particules identifiées dans l’air d’Hanoï »,
indique Pamela Dominutti, chimiste de l’atmosphère, post-doctorante à IGE. Cet indicateur sanitaire permet d’estimer la capacité des particules à engendrer un stress oxydatif des poumons [4], étape préalable à une cascade de réactions inflammatoires pouvant induire pathologies cardio-respiratoires et cancers. Et les molécules associées au trafic routier se sont révélées être les plus nocives pour la santé, suivies par celles dues à la combustion de fuel lourd et à la combustion de biomasse ; toutes trois des sources anthropiques. Ainsi, la contribution des véhicules, pour toute relative qu’elle soit, se révèle en réalité bien plus problématique qu’il n’y parait.
Dans les recommandations qu’ils vont transmettre aux autorités, les scientifiques préconisent de réguler les émissions de fuels fossiles, d’améliorer les pratiques agricoles et de renforcer les normes d’émission des véhicules.
« Nous allons continuer avec les mesures des particules pour pouvoir croiser ces résultats avec les données épidémiologiques collectées par les structures sanitaires de la ville, en vue d’établir le lien effectif entre les pics d’émission, le potentiel oxydant et les admissions aux urgences pour des pathologies respiratoires »,
conclut Pamela Dominutti.

© IRD - Pamela Dominutti

© IRD - Pamela Dominutti
Références
Pamela A. Dominutti, Xavier Mari, Jean-Luc Jaffrezo, Vy Thuy Ngoc Dinh, Sandrine Chifflet, Catherine Guigue, Lea Guyomarc’h, Cam Tu Vu, Sophie Darfeuil, Patrick Ginot, Rhabira Elazzouzi, Takoua Mhadhbi, Céline Voiron, Pauline Martinot, Gaëlle Uzu. Disentangling fine particles (PM2.5) composition in Hanoi, Vietnam : Emission sources and oxidative potential, Science of the Total Environment, 1 mai 2024. DOI : 10.1016/j.scitotenv.2024.171466
Sandrine Chifflet, Léa Guyomarc’H, Pamela Dominutti, Lars-Eric Heimbürger-Boavida, Bernard Angeletti, Pascale Louvat, Jean-Luc Jaffrezo, Cam Tu Vu, Gaelle Uzu & Xavier Mari. Seasonal variations of metals and metalloids in atmospheric particulate matter (PM2.5) in the urban megacity Hanoi, Atmospheric Pollution Research, 2024. DOI : 10.1016/j.apr.2023.101961
Contacts scientifiques locaux
– Gaëlle Uzu, chercheuse IRD à l’IGE-OSUG (IRD/Université Grenoble-Alpes/Inrae/CNRS/Grenoble INP-UGA)
– Pamela Dominutti, post-doctorante CNRS à l’IGE-OSUG (IRD/Université Grenoble-Alpes/Inrae/CNRS/Grenoble INP-UGA) [5]
Cet article, rédigé par Olivier Blot, DCPI - IRD, a initialement été publié par IRD le Mag’.
[1] Avec une concentration moyenne de 40 µg de particules fines par m³ d’air (de 8 à 140), les recommandations de l’Oms sont de 5 µg/m³ à 15 µg/m³.
[2] Des émissions habituellement associées au processus de raffinage du pétrole ou à l’usage de mazout par les navires
[3] Une valeur élevée possiblement liée à la chaleur de l’air qui favorise le soulèvement des minuscules éclats minéraux.
[4] Pour ce faire, les scientifiques ont mis les particules en contact avec un fluide respiratoire artificiel reconstitué, en présence d’antioxydants pulmonaires . Puis ils ont mesuré à quelle vitesse étaient consommé ces antioxydants en fonction des différentes particules.
[5] en post-doctorat IRD au moment de l’étude
Mis à jour le 13 juin 2024