Perte de masse par fonte du Groenland : un mécanisme d’amplification confirmé par des simulations numériques

Entrance to a moulin where surface water plunges to the base of the ice sheet © Sam Doyle
La perte de masse du Groenland, liée à l’augmentation de la fonte en surface, est amplifiée par l’accélération du transfert de la glace des parties amont du glacier vers les parties avales (soumises à des températures plus élevées). Cette accélération est causée par l’augmentation de la quantité d’eau (issue de la fonte) à la base du glacier.

Une nouvelle étude Franco-Suisse conduite par Olivier Gagliardini, chercheur à l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE-OSUG, CNRS/Grenoble INP/IRD/UGA) confirme par des simulations numériques un mécanisme d’amplification de la perte de masse du Groenland. Ces résultats ont été publiés en août 2018 dans la revue Journal of Glaciology.

Au cours de ces dernières décennies une augmentation de la fonte en surface au Groenland a été observée, à la fois en intensité mais aussi en extension (elle se propage à des altitudes plus élevées). Le 12 juillet 2012 de façon emblématique et pour la première fois depuis au moins 150 ans, l’ensemble de la surface de la calotte groenlandaise a été concernée par la fonte.

L’eau de fonte s’écoule d’abord en surface, où une certaine fraction peut potentiellement regeler. L’autre fraction se concentre dans des bédières qui, en arrivant dans une zone crevassée, forme des moulins. Les moulins ont la capacité d’amener l’eau jusqu’à la base du glacier, à l’interface avec le socle rocheux. Cette eau va alors cheminer via un réseau composé de cavités et de chenaux jusqu’au front du glacier. La présence de cette eau à la base du glacier (et notamment sa pression) peut moduler le glissement de la glace sur son socle. Ainsi, lors des pics de fonte en surface (au printemps), l’eau est présente de manière plus abondante à la base des glaciers, et on observe généralement une augmentation significative de leurs vitesses d’écoulement.

Des observations ont montré que les crevasses au Groenland n’étaient pas présentes au-dessus de 1600m d’altitude. Dans une étude de 2015, Poinar et ses collègues ont donc conclu que ce surplus de fonte se produisant à des altitudes élevées n’aurait que peu d’incidence sur l’écoulement des glaciers, puisque l’eau produite ne pourrait pas directement pénétrer dans le glacier, mais devrait d’abord s’écouler en surface pour rejoindre une zone crevassée à plus basse altitude.
Dans cette étude, Gagliardini et Werder ont construit un modèle numérique couplant :

  • l’écoulement du glacier,
  • le développement du réseau d’eau en surface, à l’intérieur et à la base du glacier
  • la prédiction de l’ouverture des crevasses.

Ces simulations, imposant une augmentation de la fonte de surface du glacier dans le futur, révèlent une augmentation de l’hydrologie à sa base, « lubrifiant » la surface de contact entre le glacier et son socle et donc augmentant sa vitesse d’écoulement vers l’aval. Cette accélération de l’écoulement engendre une augmentation (non homogène) des déformations du glacier dans des zones de plus en plus amont, provoquant l’ouverture de crevasses à des altitudes bien supérieures à celles observées actuellement. Cela aura pour conséquence d’amener l’eau de fonte à la base du glacier, dans de nouvelles zones amont jusqu’alors sèches, propageant ainsi l’accélération du glacier vers l’aval.

Au final, par ce couplage avec la dynamique du glacier, la perte totale de masse est amplifiée par rapport à la simple augmentation de la fonte de surface. L’inclusion de ce mécanisme dans les modèles actuels d’estimation de la future contribution de la fonte des glaciers du Groenland à l’augmentation du niveau des mers nécessitera beaucoup de développements. Mais cela pourrait induire une révision à la hausse de cette contribution.

La figure ci-dessus montre l’évolution du réseau hydrologique après (a) 1 an, (b) 20 ans et (c) 40 ans d’augmentation de la fonte. S (m2) représente la taille des chenaux visibles au front du glacier et N (MPa) la pression effective à la base du glacier. Les cercles représentent les moulins par lesquels l’eau pénètre dans le glacier depuis la surface jusqu’à sa base, avec une taille proportionnelle à la quantité totale d’eau drainée pendant la période de fonte. La ligne noire indique la limite de la zone crevassée tandis que la ligne jaune correspond à la limite supérieure impactée par la fonte de surface. On observe très clairement que l’augmentation de la surface impactée par la fonte est suivie par un agrandissement de la zone crevassée.


Source

Influence of increasing surface melt over decadal timescales on land-terminating Greenland-type outlet glaciers
Gagliardini, O., & Werder, M. A. (2018).Journal of Glaciology, 1-11, DOI : 10.1017/jog.2018.59

Référence

Limits to future expansion of surface‐melt‐enhanced ice flow into the interior of western Greenland
Poinar, K., Joughin, I., Das, S. B., Behn, M. D., Lenaerts, J., & Broeke, M. R. (2015). Geophysical Research Letters, 42(6), 1800-1807. DOI : 10.1002/2015GL063192

Contact scientifique local

 Olivier GAGLIARDINI , IGE/OSUG | olivier.gagliardini univ-grenoble-alpes.fr

Cette actualité est aussi relayée par

 L’IGE - OSUG

Mis à jour le 4 octobre 2018