Vers des écrans tactiles flexibles et sûrs

Une des faiblesses des smartphones est leur écran rigide, qui peut facilement se fissurer en cas de choc. Des écrans tactiles flexibles pourraient pallier ce problème et l’utilisation de nanofils d’argent est envisagée pour leur développement. Ces nanofils peuvent toutefois induire des risques pour la santé lorsque ces fibres entrent en contact avec la peau. Une équipe internationale et interdisciplinaire de scientifiques, parmi lesquels des chercheurs de l’institut des Sciences de la Terre (ISTerre/OSUG – CNRS / IFSTTAR / IRD / UGA / USMB) [1], vient de montrer que la toxicité des nanofils d’argent dépend principalement de leur diamètre. Une découverte qui permettra la fabrication de produits plus sûrs. L’étude est publiée dans PNAS.




Les nanofils d’argent sont d’excellents candidats en tant que conducteurs flexibles et transparents pour le développement d’écrans tactiles flexibles, ainsi que pour d’autres applications telles que les adhésifs ou les revêtements à haute résistance. Cependant "leur interaction avec les cellules de la peau peut entraîner un dysfonctionnement cellulaire, une inflammation et éventuellement la mort des cellules" explique Laurent Charlet qui a dirigé l’étude avec Benjamin Gilbert, chercheur au Laboratoire national Lawrence-Berkeley (LBNL, États-Unis) et auteur correspondant de l’article.

"Nous voulions savoir si les nanofils d’argent pourraient être conçus de manière à minimiser leur toxicité cellulaire tout en conservant leurs propriétés techniques", explique Benjamin Gilbert. Pour ce faire, une collaboration France-États-Unis a été mise en place qui intégra des scientifiques de l’Université de Floride, de l’Université de Lille, de l’ESRF, le Synchrotron Européen de Grenoble et du CEA-LITEN à Grenoble, du LBNL et de l’Université Grenoble Alpes.

Le degré de toxicité des nanofils est lié à leur quantité, leurs dimensions (diamètre et longueur) et leur biopersistance. Dans cet esprit, l’équipe a associé des études de toxicologie et d’écotoxicologie à des techniques synchrotron sur deux lignes de faisceau ID16A et ID21 de l’ESRF.

"En utilisant une imagerie à rayons X cohérente, nous pouvons voir directement comment les nanofils interagissent avec la cellule. La nano-tomographie de cellules congelées fournit des instantanés 3D montrant l’emplacement et la forme de chaque nanofil. La fluorescence X et la spectroscopie complètent le tableau chimique afin de déterminer si les nanofils d’argent s’associent à d’autres éléments et dans quelle mesure l’argent se répand à l’intérieur de la cellule" explique Peter Cloetens, un des six scientifiques de l’ESRF ayant participé à l’étude.

Leurs recherches ont montré que l’interaction mécanique entre les nanofils et les membranes vésiculaires contrôlait la toxicité des nanofils. En particulier, la rigidité à la flexion, qui varie en fonction du diamètre des fils, joue un rôle majeur. L’équipe a étudié deux types de nanofils d’argent synthétisés au CEA, de diamètre 30 et 90 nm. Ils ont constaté que les deux pénètrent facilement dans les cellules enfermées dans les vésicules. Des nanofils épais perforent la membrane de la vésicule, libérant ainsi les ions d’argent et le contenu de la vésicule dans la cellule. Cela initie le stress oxydatif et la mort cellulaire. Au contraire, la membrane de la vésicule peut froisser les nanofils les plus minces qui sont beaucoup moins rigides. Les nanofils restent confinés dans les vésicules, ce qui les rend essentiellement inoffensifs.

Le froissement des nanofils ou la perforation de la membrane déterminent la toxicité.

Cette découverte permettra à terme la fabrication de produits plus sûrs, incorporant des nanofils d’argent plus fins, sans compromettre les paramètres de performance critiques des réseaux transparents conducteurs, à savoir la conductivité électrique et la transparence optique.

"Ces recherches ouvrent la voie à de multiples applications des nanofils d’argent, au-delà des écrans tactiles, et leur utilisation en tant que porteurs potentiels pour l’administration de médicaments pourrait être envisagée, mais plus important, les travaux que nous menons avec Laurent Charlet et Sylvain Bohic (Inserm-ESRF) sur d’autres nanoparticules (de sélénium) attestent elles d’un effet direct sur les cellules cancéreuses et d’un fort potentiel dans le traitement du cancer", explique Steve Conlan, du Centre for NanoHealth, de l’Université de Swansea (Royaume-Uni.)

Les applications potentielles des nanofils d’argent sont nombreuses, des étiquettes électroniques utilisables comme antennes RFID dans les emballages aux dispositifs médicaux biocompatibles et résorbables, en passant par des papiers incorporant des LED, des capteurs ou des transistors. "Nous étudions ainsi actuellement aussi à l’institut des Sciences de la Terre en collaboration avec Gaël Deprès de l’entreprise Arjowiggins Papiers Créatifs, dont le centre de recherche est près de Grenoble, et avec LBLN et le Pacific Northwest National Laboratory, le recyclage de l’électronique imprimée sur papier, et pour ce faire les mécanismes tant de sulfuration de ces nanofils que de leurs interactions avec les nano fibres de cellulose, et par anticipation, les contraintes législatives qui pourraient contraindre le développement industriel de ces étiquettes intelligentes et recyclables" conclut Laurent Charlet.


Référence

Crumpling of silver nanowires by endolysosomes strongly reduces toxicity
Sylvia G. Lehmann, Djadidi Toybou, Ana-Elena Pradas del Real, Devrah Arndt, Abderrahmane Tagmount, Muriel Viau, Malak Safi, Alexandra Pacureanu, Peter Cloetens, Sylvain Bohic, Murielle Salomé, Hiram Castillo-Michel, Brenda Omaña-Sanz, Annette Hofmann, Christopher Vulpe, Jean-Pierre Simonato, Caroline Celle, Laurent Charlet, and Benjamin Gilbert
PNAS first published July 8, 2019 https://doi.org/10.1073/pnas.1820041116

Contact scientifique local

 Laurent Charlet I ISTerre / OSUG, I laurent.charlet univ-grenoble-alpes.fr I

Article initialement publié par l’Université Grenoble Alpes.

[1Cette étude a été réalisée grâce au soutien financier du Labex SERENADE, du projet ERA-NET SIINN et de la Commission américaine de la sécurité des produits de consommation, au cours d’une collaboration entre le groupe Charlet de ISTerre (Université Grenoble Alpes), Ben Gilbert (LBNL, Berkeley), Professeur invité UGA puis SERENADE, des lignes de lumières ID16A et ID21 de l’ESRF, le Synchrotron Européen, les Universités de Lille et de Floride et le CEA-LITEN.

Mis à jour le 4 octobre 2019